Extrait de Divine Corruption : Déviance

Commandement VII – XXVI – Humain – Souillure

  • Est nommé “Souillure”, le processus de corruption changeant l’humain en charognard.
  • Le temps de corruption d’un humain au second royaume varie d’une à deux semaines.
  • La consommation de ses semblables accélère le processus.
  • Tout humain ayant consommé ses semblables doit être purgé sans la moindre concession.
  • Tout doute sur l’état d’un humain engendre une purge irrévocable.
  • Il est formellement interdit de transiter un humain vers le second royaume

Chapitre 1-1 : Un homme pieu

Un bruit strident, du noir, du blanc, un vertige, puis rien durant une demi-seconde. J’ouvre alors les yeux sur un gris morne et monotone, le ciel ? Le temps de réfléchir est un luxe que je ne possède pas, mes bras ballottent devant moi, je chute. J’essaie de comprendre, de me souvenir, je suis Serj, ma fille, ma femme, mes terres… Un choc qui me replonge dans une semi-torpeur, le sol est trop mou, l’impact fut trop doux. Les cris, les gémissements, ce qui m’entoure bouge, vit, respire. Le gris du ciel, mon corps ne m’obéit pas, mes jambes refusent de s’agiter, mais je sens sous mes doigts… Des cheveux ? Je peine à respirer, où suis-je ? Dans le ciel, des taches blanches se forment, se rapprochent, l’impact, les secousses, les cris… Mon sang bouillonne, je suffoque, ma vue se trouble, je sombre.

Une pression sur le torse me tire de ma torpeur, un pied blanchâtre me piétine allègrement faisant fi de ma présence. Plus inquiétant encore, un bruit de mastication, d’animal dévorant une carcasse me glace le sang. Je croise le regard de sa victime, le visage raidi d’une femme désemparée, ses yeux me supplient. Je connais ce regard, je ne l’ai que trop souvent croisé. Elle me conjure de l’aider, d’abréger son supplice. La bête tire, faisant vaciller sa proie, du sang coule, ses yeux ne bougent plus. Devant ce spectacle macabre, je ne peux m’empêcher de m’interroger, suis-je le suivant ? Par chance, je retrouve une partie de ma mobilité, mon bras se plie, je tâtonne lentement mais sûrement mon environnement, le tout rythmé par les mouvements de la bête tirant sur sa prise. Je n’ose regarder ce que je touche, mon imagination se chargeant déjà de me soulever le cœur, le bruit de la chair arrachée par une mâchoire goulue me rend fou. Quelque chose vient de me saisir le bras ! Je panique, je frémis. Par instinct ma tête pivote, je croise de nouveau le regard effrayé d’une âme déchue, probablement la même expression horrifiée que j’arbore. L’inconnue se pétrifie, gémit, sa main se resserre autour de mon avant-bras, ses doigts glissent le long de mon poignet, quelque chose la fait disparaître en une fraction de seconde.

Je porte alors mon attention sur l’horizon, une pile de cadavres, une montagne de corps, un paysage lugubre, rocailleux, tranchant, donnant sur d’autres amas de chair. Des créatures rapides, difformes, évoluant avec facilité sur ces flancs irréguliers. Où suis-je ? En enfer ? Pourquoi ? Pourquoi un tel châtiment pour un homme juste ? Quelles sont mes fautes ? Des larmes coulent le long de mes joues, ma fille, ma femme, sont-elles ici aussi ? Méritent-elles le même sort que moi ? Sommes-nous tous condamnés au même destin funeste et injustifié ?

Je reste là un instant à contempler le ciel, observant les corps tombés à intervalles réguliers. Des humains par milliers relégués, remplissant un garde-manger. Le prédateur suprême devenu simple repas… Devant cette conjoncture ironique, je ne peux m’empêcher d’esquisser un rictus, j’attends la mort. Je me remémore ma famille, mes terres. Je me souviens le massacre, l’horreur absolue, Dieu a-t-il perdu foi en nous, en moi ? Quels sont mes péchés ? Cette réflexion me lacère l’esprit, me laissant seul face à mon désarroi.

De longues minutes passent, rythmées par le ballottement que provoque le monstre en se repaissant. Une douleur vive à la jambe me sort soudainement de ma léthargie, je crie, la mâchoire se resserre et tire ma cheville. Je me débats, mais mon agresseur finit par me retourner, face contre terre. Sa puissance physique est indéniable, il me faut me défendre. Devant moi gît un homme éventré, j’attrape ses côtes à nu luttant contre la douleur insoutenable des crocs perçant la chair… Un craquement ! Les os se sont brisés ! Instinctivement, je me tourne afin de planter mes armes de fortune dans la tête de la créature. C’est la première fois que j’ai une vision aussi nette de cette abomination. Sa peau pâle, sans la moindre pilosité, est parsemée de taches de sang et de crasse. Ses yeux minuscules et rouges, perchés sur le haut de son crâne s’opposent à sa bouche disproportionnée. Elle n’a pas de nez, juste deux trous servant de naseaux posés au milieu de son visage. Elle me glace le sang, quelque chose me gêne, il y a quelque chose d’humain en elle…

Les soubresauts de la créature me tirent de mon observation, je réitère alors mon attaque, du sang gicle, je me réjouis un court instant après avoir touché l’œil. La créature s’enrage suite à ses blessures, elle tire frénétiquement et dans tous les sens. Je tente un nouvel assaut. Cette fois-ci je vise l’arrière de son crâne. Mon coup, bien que hasardeux, atteint son objectif, je dispose finalement d’un appui. Je pose ma jambe libre sur son épaule et pousse de toutes mes forces. Je pousse alors un cri animal, un mélange impulsif de haine et de terreur, elle lâche finalement son emprise dans une gerbe sanguinolente. La perspective de ma mort se chargeant de faire renaître mon esprit combatif, je ne réfléchis pas et je roule sur le côté vers le bas de la pile de cadavres. Mes repères se brouillent, j’entends grogner. Ma descente se termine au milieu d’une demi-douzaine de corps entraînés durant ma chute. Mon dos, mon épaule et ma jambe me font horriblement souffrir. Je mobilise mes dernières ressources pour m’extraire de ma prison de chair, les créatures se rapprochent. J’essaie tant bien que mal de me relever, mais rien n’y fait, mon seul membre valide refuse de m’obéir. Je perds énormément de sang, à ce rythme je n’ai que quelques minutes avant de me vider, ma tête tourne…

Rien n’y fait, je n’arrive pas à me relever, elles arrivent, je me place sur le dos face à la pile en putréfaction, prêt à me défendre. Il ne me faut pas longtemps pour me rendre compte de mon erreur, une créature me saisit l’épaule. Le sol me râpe le corps, elle me tire rapidement dans une crevasse en prenant bien soin de s’éloigner des autres concurrents. Mes flancs, mon dos, mes fesses sont meurtris, la douleur semble si lointaine, ma vue se trouble, je suis apathique… Mon agresseur finit par me laisser tomber, presque délicatement, dans une fosse commune. Mes yeux se ferment, je sombre lentement vers ma mort.

Le temps défile, mes rares instants de conscience sont brefs et disparates, des heures, des jours, qu’en sais-je. Je repense à cette femme qui disparut devant mes yeux, chanceuse, une mort rapide, un rêve, peut-être a-t-elle finalement rejoint notre seigneur. J’ai faim, j’ai soif, je me rendors… Un choc, mes yeux collés s’ouvrent péniblement, je sens une pression sur mon bas-ventre, la créature vient de jeter une moitié de corps. Le torse d’une femme âgée mutilée duquel s’écoule du sang tiède, j’ai faim, j’ai soif, il ruisselle, ma vue se brouille.

La faim et la soif me tiraillent, mes lèvres collent, ma tête me fait horriblement souffrir, les bruits résonnent et me vrillent les tympans. Instinctivement, je regarde la moitié de corps, le sang ne coule plus. Ce constat me frustre plus que je n’ose me l’avouer…

Quand donc viendra l’heure de mon départ ? N’ai-je donc pas assez souffert, pourquoi me torturer ainsi ? J’ai envie de hurler, mais rien ne sort. J’ai envie de pleurer, mais rien ne coule. Que ces monstres m’achèvent, pitié Seigneur ! Un bruit sourd de chair que l’on avale attire mon attention. Perplexe, je ne reconnais pas le son singulier de leurs mastications, ce n’est pas une créature qui se nourrit, mais un homme. Celui-ci est affairé dans les entrailles d’un autre… Je l’envie. Il se repaît, avalant sans hésiter tout ce qu’il sort du cadavre, parfois un haut-le-cœur vient le stopper un court instant, puis il reprend son affaire sans discontinuer. Je le contemple un instant avant que mes yeux ne se ferment à nouveau.

Quelque chose rampe dans ma direction, j’émerge de ma torpeur, une main se pose sur mon visage, l’adrénaline monte, ses ongles se plantent dans la chair de ma joue, je gesticule vainement pour me débattre. Mon assaillant se sert de cet appui pour se rapprocher de moi, je saigne, ses ongles lacèrent mon visage et me crèvent l’œil droit, un cri étouffé, je reste aphone. Une proie, voilà ce que je suis, lorsque sa main revient je me jette gueule ouverte dessus, je la saisis et mords de toutes mes forces, du sang, de la chair, des doigts, j’ai faim, j’ai soif, je ne crache pas, j’avale… Mon assaillant crie, mais n’abandonne pas, il me frappe le visage avec insistance, stupide erreur, je tiens son poignet entre mes dents, je ne lâcherai pas. Je mords à m’en décrocher la mâchoire, le sang coule à flots, quelle bénédiction, j’ai faim, j’ai soif… Je tiens tandis qu’il me martèle l’abdomen avec son autre main. Un murmure, il sanglote :

  • Pitié.

Mon regard se pose finalement sur mon agresseur, un jeune homme à la barbe naissante, à peine plus âgé que ma propre fille. Que suis-je en train faire ? Que suis-je en train de devenir ? Je relâche mon emprise, non sans regret, mais je ne peux me résoudre à cette extrémité, je souris, ses dents se plantent dans ma gorge, c’est la fin.

Chapitre 1-2 : Corruption

Le sang chaud coule à flots entre mes dents, je me délecte. Ce vieil homme a été plus résistant que prévu, mais pour la première fois mon repas n’est pas en décomposition. Je savoure l’instant, j’engloutis encore et toujours plus jusqu’à l’écœurement ou la régurgitation. Cette envie insatiable de chair me corrompt, elle s’intensifie à chaque bouchée. Je n’éprouve plus aucun dégoût, plus aucun remords à manger mes semblables, depuis combien de temps suis-je ici ? Dans cette fosse putride à me délecter de restes, sans lumière, sans vie. La faim m’obsède, elle me tire vers les abysses, la folie, l’instinct animal. Qui suis-je ? J’oublie peu à peu, mon histoire, ma vie, ma mort, mes souvenirs m’échappent, tout cela semble si lointain, supplanté par ma gloutonnerie, comme une fine lueur dans l’obscurité, mon humanité vacille et se meurt. La vision de mes doigts sectionnés lors de la lutte avec le vieil homme ne m’émeut nullement. La douleur est elle aussi secondaire, je sombre, je le sais, je veux réagir, je dois réagir. Mon esprit hurle de toutes ses forces et pourtant je continue inlassablement à planter mes dents dans la chair, à avaler tout ce qui peut l’être, j’ai peur.

Mon châtiment, mon cauchemar, un cercle vicieux et horrifique, un corps tombe, je me délecte. Je dors blotti dans un recoin de la fosse, parfois réveillé par les douleurs musculaires ou les crampes d’estomac, souvent par la chute d’un nouveau corps annonçant l’heure du repas. Un cadeau apporté par mon geôlier, mon bienfaiteur. Quarante-trois cycles, cadavres, repas, mais combien de temps ? Quarante-trois, je me souviens de chacun d’entre eux, de leurs goûts. Étrange alors que mon âge m’est inconnu. La boucle se répète inlassablement, mon esprit me quitte, mes pensées deviennent éparses et sommaires. Mon corps s’habitue lentement à sa nouvelle alimentation, les vomissements sont moins nombreux, les douleurs ont disparu, le temps me change. Depuis peu, je distingue parfaitement les moindres aspérités de mon environnement obscur, ma peau tire de plus en plus vers un blanc livide. J’entends l’écho lointain de mon esprit, je refuse de devenir l’un des leurs, je ne veux pas me changer en monstre. Il me faut m’arrêter ! Un bruit habituel m’interpelle, un cadavre, j’ai faim, je me précipite et avale d’un seul trait sa main. Je croise alors un reflet dans le blanc de ses yeux, le mien ? Des yeux rouges et minuscules, une bouche immense s’étirant de chaque côté de mon visage, mes cheveux où sont-ils ? Est-ce vraiment mon reflet ? Non, impossible, non, non, je hurle, mon dernier sentiment, un ultime appel au secours, un humain s’éteint, un charognard naît.

Au fond de son trou, une créature s’impatiente en finissant les quelques restes de son garde-manger, les cycles se sont interrompus, son bienfaiteur a disparu. Bientôt la faim viendra la saisir, bientôt elle devra quitter son nid pour se sustenter. Elle est effrayée par cette pensée, mais l’heure n’est pas encore venue, qui sait, un cadavre va peut-être tomber dans les prochaines minutes. Pour le moment, elle se blottit dans un coin et ferme ses deux petits yeux rouges. Le temps s’écoule lentement dans cette fosse, seuls des cris bestiaux venant de l’extérieur ponctuent son attente. Elle s’impatiente, portée par son ventre qui crie famine. Hésitante, elle se rapproche de l’entrée de sa tanière et du faible halo de lumière la surplombant. Des hurlements d’agonie mêlés aux bruits de charognards bataillant s’élèvent de l’extérieur, elle se hisse facilement au niveau du sol s’engouffrant dans la fissure la séparant de sa liberté. Elle espère y trouver un futur festin. La faible lumière semble exagérément forte pour sa vision habituée à l’obscurité. Ses premiers pas se font hésitants et incertains. La créature à la vue trouble se fige à la découverte d’une forme blanche et rouge à quelques pas de l’entrée. Paniquée, son regard balaye l’horizon cherchant à isoler la menace. Elle y distingue un paysage lugubre, couvert par un ciel gris aux reflets de sang. Un sol jonché d’ossements et de chair en décomposition à perte de vue, mon deuxième royaume. Malgré ses efforts, elle ne perçoit que des formes indistinctes. Elles se meuvent habilement entre les restes humains. Ne percevant aucune menace, elle laisse le temps à sa vue de s’habituer à la lumière, suffisamment pour examiner plus en détail la forme blanche et rouge. Son bienfaiteur gît là à quelques mètres du garde-manger, la colonne vertébrale apparente, abattu d’un coup surpuissant et meurtrier.

Face à cette menace inconnue, le jeune charognard rebrousse chemin ne pouvant se résoudre à quitter la sécurité de sa tanière. Tapi à l’entrée de son ancien garde-manger, il patiente, luttant contre son envie insatiable de chair. Prudent, il scrute l’horizon, regardant avec envie ses pairs planter leurs dents dans de la viande fraîche. Un cri d’agonie inhabituel s’élève non loin de lui, la peur s’empare alors de son esprit le contraignant à retourner se blottir dans un coin de son logis. Il tourne, grattant le monticule d’ossements à la recherche d’un petit quelque chose, sans succès. L’impatience grandit à mesure que la faim s’intensifie, remplaçant sa peur par une témérité irrépressible. Quelques heures plus tard, le voici de nouveau prêt à fondre vers l’inconnue, enivré par l’odeur du sang. Le jeune corrompu se rue vers un monticule de cadavres oubliant ses instincts de conservation. Il ne lui faut qu’un instant pour dénicher le reste d’un tronc en décomposition dans lequel il plante ses dents goulûment.

Quelques mètres en retrait, deux formes observent la scène d’un air dédaigneux. L’une des deux silhouettes lève son bras ruisselant d’énergie alors qu’une aura bleu -azur émane de sa peau. Se pliant à sa volonté, l’humidité de l’air se cristallise créant un dard de glace qu’elle projette, transperçant le flanc de sa cible. Le jeune charognard hurle, tente de se mouvoir, mais le projectile planté dans le sol l’empêche de fuir. Il se débat de toutes ses forces, aggravant ses blessures alors qu’une flaque de sang se forme déjà sous ses pieds, témoignant de la violence de l’attaque. L’une des formes s’élance, parcourant la distance les séparant en un battement de cils, une épée siffle, sa tête vole. C’est en croisant un regard bleu mêlant haine et plaisir que cet humain corrompu quitte ce monde. La fin décevante d’un enfant attachant. Il est temps pour moi de porter mon regard sur une autre de mes graines.

Commandement VII – XXXIII – Humain – intronisation

  • L’intronisation d’un humain ne peut se faire sans l’aval direct de la régence en place.
  • La demande d’intronisation est à la charge du détenteur de l’humain.
  • Un humain ne peut être sujet à intronisation que si et seulement si les conditions suivantes sont respectées :
  • * L’humain a plus de quatre cents ans
  • * L’humain est adulte
  • * L’humain accepte de son plein gré l’avancement divin qui lui est offert
  • * L’humain dispose d’un parcours irréprochable
  • * L’humain apporte une compétence, un savoir-faire ou une maîtrise particulière à la caste céleste
  • * L’humain est coopté par un archange qui se chargera de la procédure
  • * L’humain connaît et comprend les enjeux d’une vie divine
  • * L’humain s’engage à effectuer son insertion dans le demi-siècle suivant son intronisation
  • La régence en place dispose d’un droit de veto sur toute intronisation, qu’importe si l’humain dispose de tous les prérequis initiaux.
  • Un humain intronisé perd son statut de marchandise.
  • Un humain intronisé perdant son statut de marchandise devient alors vassal de l’archange l’ayant coopté.
  • Il devient alors libre de droits et égaux à tout divin de son rang.

Un humain intronisé se voit attribuer un nom céleste par l’archange l’ayant coopté.

Commandement VII – XXXIV – Humain – Affranchissement

  • Dans certains cas, un humain peut être affranchi :
  • * Par demande de réparation d’une partie lésée suite à un préjudice
  • * Par décision exceptionnelle du détenteur
  • * Par décision légale de la régence en place
  • Dans tous les autres cas, il sera préférable de vendre l’humain en tant que marchandise ou de le purger si celui-ci ne présente aucune valeur marchande.
  • Un détenteur ayant affranchi un humain peut à tout moment annuler sa décision et récupérer la possession de son bien.
  • Si l’humain se retrouve de nouveau sous possession avant annulation de la décision, l’ancien détenteur perd tous droits sur l’humain.
  • Un humain affranchi peut à tout moment être purgé par un divin sans qu’aucune partie lésée ne puisse demander réparation.
  • Un humain affranchi peut à tout moment faire l’objet d’une appropriation, son consentement ne rentre nullement en ligne de compte.

Chapitre 2-1 : Joseph de La Compassion

D’un grand portail en pierre orné de runes brillantes et vibrantes jaillit un flash bleu duquel émergea un homme imposant. Il affichait un air serein. Il amorça ses premiers pas dans la maison de La Compassion, sa nouvelle institution et peut-être sa dernière en tant qu’humain. Il observa la magnifique demeure principale devant laquelle trônait une fontaine aux dimensions dantesques. Le jardin s’étirait à perte de vue, jardin duquel s’élevait une multitude de statues représentant divers régents de La Compassion. Un mélange subtil de parterres de fleurs, de bosquets et d’arbres millénaires offrant une composition de couleurs parfaites, témoins d’un savoir-faire ancestral. Dans ces terres, plusieurs douzaines d’humains s’affairaient à entretenir toutes ces merveilles, seul un céleste surveillait l’avancée des travaux d’un œil intransigeant. Une voix vint le couper dans son observation :

  • Bonjour, mon Seigneur céleste Thola vous attend, veuillez me suivre, lança un jeune homme portant une robe simple au tissu de bonne qualité.

Le nouvel arrivant emboîta le pas sans retour de politesse. Les deux hommes longèrent la bâtisse et sa grande porte gardée par deux soldats aux armures étincelantes, pour se diriger vers une entrée située plus en retrait. Tous deux pénétrèrent dans un petit vestibule sobre et sombre puis ils s’engagèrent dans un couloir donnant sur les chambres des aides de maison. Celles-ci, ternes, à la limite de l’insalubre, contenaient quelques humains aux vêtements vieillis par le temps, ils daignaient parfois lever la tête à leur passage. La pièce suivante, aux antipodes des quartiers précédents, stoppa le nouvel arrivant dans sa marche. Cette pièce se composait d’un hall d’entrée démesuré, richement décoré, d’un lustre et d’un escalier à la mesure de son immensité, le tout agrémenté d’œuvres d’art, de fresques et de statues contant l’histoire, il aurait fallu être aveugle pour ne pas être hébété par tant de raffinement. Le guide traversa la zone sans sourciller ce qui irrita légèrement son compagnon espérant un court répit pour admirer cette merveille d’architecture. Leur coopération s’arrêta devant une porte en verre ornée pourvue d’une fresque centrale à la hauteur du reste de la décoration. Le jeune aide de maison toqua et fit signe à son hôte de pénétrer dans la salle, celui-ci s’exécuta.

La personne assise devant une petite table ignora tout bonnement l’irruption, il resta plongé dans ses écrits. Comme tous les divins premiers nés, il était caractérisé par une peau blanche légèrement argentée, sublimée par des yeux bleus perçants, un regard captivant, envoûtant, auréolé de légendes et superstitions. Ses traits fins et son visage sans imperfection aucune lui donnaient l’apparence d’une poupée de porcelaine richement habillée. Sur ses vêtements onéreux et emplis d’apparats, on pouvait distinguer des pierres précieuses ainsi que des petits renforts en or. Dans ses cheveux tressés et arrangés de manière élégante trônait une volumineuse broche en nilarium, l’un des métaux les plus prisés du premier royaume dont la maison de La Compassion était la première exploitante. Le guerrier se questionna sur la présence d’un céleste de rang supérieur à un poste normalement relégué aux subordonnés. La gestion des humains et plus particulièrement le fait de les côtoyer au quotidien donnait à cette position un côté dégradant dans la culture céleste. Le premier né entama la conversation tout en continuant assidûment sa lecture :

  • Un instant soldat, je revisite votre parcours. Intéressant, nombre d’éloges pour un humain, vous avez fait vos classes et vos débuts au sein de la maison de La Gloire, durant cent huit ans, vrai ?
  • Vrai, Sire céleste, répondit-il avec respect.
  • Seigneur céleste je te prie.
  • Pardonnez mon impudence, Seigneur céleste.
  • Puis vous êtes revendu en tant que soldat d’encadrement à la maison de La Grâce, continua-t-il en prenant le soin de bien hacher son discours. Et pour une coquette somme pour un débutant.

Il leva finalement les yeux vers son interlocuteur attendant une réponse. L’homme à l’imposante stature enchaîna sans se démonter :

  • Seigneur céleste, ma loyauté sans faille envers ma bannière et la caste céleste durant la rébellion des esclaves m’ont valu les honneurs auprès du seigneur local.
  • Continuons, intégration de la maison de La Grâce pour cent trente et un ans, où, encore une fois, vos bons et loyaux services vous distinguent de vos semblables. Votre intendant vous offre alors l’opportunité d’exercer à Cor’vinus puis, après quatre-vingt-cinq ans de service au sein de notre grande cité, vous demandez à intégrer la maison de La Compassion. Une raison à cela ?
  • Une explication des plus simples Seigneur céleste, la vie citadine n’est pas mon fort.

Constatant que Thola continuait de le fixer, il enchaîna tout en perdant un peu de son flegme :

  • Seigneur céleste, voilà plus de trois siècles que je sers avec loyauté, rigueur et dévotion. Donnez-moi l’occasion de vous prouver mes compétences, de vous servir avec honneur, vertu ! Je souhaiterais être intronisé, être un exemple, le premier humain à s’élever en moins de quatre siècles, conclut l’homme en s’agenouillant devant le céleste.
  • L’honneur, la vertu, la dévotion, un message bien contradictoire pour un but si orgueilleux, répondit-il en prenant soin d’appuyer chaque terme. L’intronisation est le don ultime des célestes aux humains, seule une poignée de méritants dispose de cet honneur suprême et jamais en si peu de siècles. N’est-ce pas là une pure folie, un péché d’orgueil ?

On pouvait sentir au ton du céleste qu’il avait conscience de sa supériorité. Le nouvel arrivant pencha un peu plus la tête en signe de soumission avant de développer :

  • Oui, Seigneur céleste, une folie. Ou comme j’aime à le voir, une motivation, un objectif inacessible qui me pousse dans mes retranchements, une demande, un investissement permanent, au-dessus de mes possibilités, cela façonne le soldat que je suis.
  • Bien, seul le temps nous apportera la réponse, folie ou volonté, répondit le premier né en souriant.

L’intendant Thola se leva pour se placer face à son interlocuteur agenouillé :

  • Joseph de la maison de La Grâce, renonces-tu à ton serment, à ton nom, à ton histoire, à ton attachement et à tes obligations pour désormais entrer sous la bienveillance de la maison de La Compassion, récita-t-il sur un ton protocolaire.
  • Oui Seigneur céleste, je renonce.
  • Jures-tu allégeance à ses représentants, à son régent ?
  • Oui Seigneur céleste, je le jure.
  • Jures-tu de ne jamais t’opposer aux convictions, aux idéaux et à la volonté de ton nouveau foyer ? À défendre celui-ci jusqu’à la mort ?

On pouvait sentir un léger changement de ton lorsque Thola prononça ces derniers mots. Il était clair que ceux-ci le touchaient tout particulièrement.

  • Oui Seigneur céleste, je jure fidélité à la maison de La Compassion, sur mon honneur, sur ma vie, je fais le serment de défendre ses idéaux envers et contre tout.
  • Très bien Joseph de la maison de La Compassion, relève-toi, ordonna l’archange avant de continuer. J’accepte ta loyauté, j’accepte ta dévotion et je te guiderai, dorénavant je serai ta seule volonté. Pour l’instant, nourris-toi, repose-toi, nous discuterons de nouveau demain.

Joseph inclina légèrement son buste en signe de respect puis il quitta la pièce, son guide l’attendait patiemment. Celui-ci se mit en marche, sans parole, il l’accompagna jusqu’à une chambrette située non loin du quartier des aides de maison. Il y retrouva son paquetage, ses maigres effets personnels et son épée qu’il s’empressa de sortir de son fourreau. Grâce, sa lame, sa beauté, sa fierté, créée par un archange voulant rendre honneur à ses faits d’armes, une épée bâtarde à la lame bleue étincelante ornée de runes de la pointe jusqu’à la garde. Elle lui fut remise après son haut fait le plus célèbre, avoir vaincu un bretteur céleste en duel. Malgré sa carrure imposante et son expertise de plusieurs siècles à l’épée, il rivalisa péniblement avec son opposant divin. De fait, beaucoup s’attendaient à affronter un homme massif comptant uniquement sur sa puissance cependant, à l’instar des plus grands adeptes martiaux, Joseph savait faire preuve d’une grande finesse au combat. Finesse qui lui faisait probablement défaut dès lors qu’il s’agissait de gérer les conflits humains. Son opposant céleste avait creusé sa propre tombe en le sous-estimant, une joute enivrante dont il gardait autant de fierté que de cicatrices. Une fois assuré de l’intégrité de sa moitié, le guerrier rengaina Grâce qu’il déposa délicatement sur son lit puis il s’allongea à côté. Il chuchota :

  • Demain nous aurons notre affectation Grâce, demain débutera notre nouvelle vie. Joseph de La Compassion… Et je l’espère, bientôt Sire céleste Joseph.

Chapitre 2-2 : Manipulation

Un homme grand, imposant, proche de la quarantaine, patientait devant une petite porte munie d’une fresque. L’expérience lui avait appris à couper ses cheveux courts pour ne pas qu’ils lui soient défavorables au combat. Il portait son épée solidement fixée à son flanc gauche ainsi qu’une armure de cuir parfaitement ajustée pour lui offrir une totale liberté de mouvement. Un choix logique lorsque l’on considère la vitesse comme un atout majeur pour défaire ses opposants. Sa magnifique armure runique avait la particularité d’être enchantée, fruit du travail d’un évocateur de la maison de La Grâce en récompense pour ses nombreuses années de service. Cette magie permettait de rendre n’importe quelle matière aussi résistante que l’acier, tout en gardant les propriétés de base des matériaux. Un sort mineur, inutile pour un céleste, mais ô combien salvateur pour le simple humain qu’il était. Ce pourpoint qu’il arborait depuis maintenant une cinquantaine d’années semblait neuf. Il lui portait une attention maladive, offrant un contraste déroutant entre lui et son équipement, sa peau ayant subi les affres de ses multiples joutes. Un vieux soldat éternel, tricentenaire, l’âme libérée des affres du temps, mais condamnée à garder sa faiblesse d’humain, se tenait prêt au pas de la porte. Une voix s’éleva :

  • Joseph entre, je t’attendais. Prends place, débuta Thola pointant un fauteuil adossé à une bibliothèque. Sais-tu pourquoi j’ai accepté ton intégration ? Réponds franchement.

Puis voyant l’hésitation de son interlocuteur, il continua :

  • Malgré ta condition d’humain, j’ai une forte estime pour ton parcours et tes aptitudes. De plus, je vais avoir besoin de ton entière coopération pour les événements à venir.
  • Dans ce cas Seigneur céleste, j’imagine que cela est en rapport avec mon domaine d’expertise, répondit-il sereinement.
  • Exactement, suis-moi, ordonna Thola quittant son siège.

D’un mouvement de la main, il manifesta une boule d’énergie au centre de la pièce puis continuant sa gestuelle, il étira son évocation jusqu’à la transformer en une fine surface brillante.

  • Traversons veux-tu ? Nous voici dans un espace hors du temps, hors des royaumes, un petit tour de passe-passe pour nous couper de toutes les oreilles indiscrètes, un endroit sans vie, sans lumière.

En simultané avec ses paroles le céleste évoqua une petite lumière bleue illuminant faiblement les lieux avant d’entamer sa tirade :

  • Velnhia, archange suprême régent de la maison de La Compassion, promis au trône du premier royaume, déclama-t-il théâtralement visiblement tendu par cette partie de l’Histoire. Par lâcheté, il refuse de prendre position lors du dernier grand conflit laissant la maison de La Fierté s’emparer de la régence du premier royaume. Il garde donc sa place à la tête de notre maison, la place qui me fut promise, la place qui m’est due. M’étant farouchement opposé à cette décision, il me destitue de mon titre, de mes biens puis il me relègue à la gestion des humains du domaine.

Le premier né se mit à faire les cent pas dans une vaine tentative de refréner sa colère, il peina à garder son ton serein :

  • Moi, Thola de La Compassion, archange promis à la régence ! Il me relègue à un travail de subordonné, me dépossède de mes terres, de mes soldats, de ma fortune…

Le premier né semblait visiblement hanté par cette réalité, son calme revint lentement lui permettant ainsi de poursuivre ses explications :

  • Pour faire simple, j’ai une mission particulière pour toi, d’elle dépendra mon avenir et par définition le tien. Échoue et nous sombrerons tous deux. Réussis et j’exaucerai ton souhait le plus cher, qu’en dis-tu Joseph ?
  • Je ne sais que répondre Seigneur céleste, en tant que simple humain que puis-je vous apporter ? répondit-il dubitatif.
  • Joseph voyons, nous connaissons tous deux ton parcours, tes compétences, tu es un bretteur exceptionnel, une force de la nature, sans compter ton intellect qui n’est pas en reste. Aujourd’hui, ne me vois pas comme ton détenteur, mais comme un collaborateur vers notre ascension commune. J’ai besoin de ton entière coopération pour ce qui va suivre et pour te prouver ma bonne foi, je t’offre ce léger présent.

À la fin de sa phrase, Thola ferma doucement ses paupières puis il leva ses bras, les paumes tournées vers sa poitrine. De petites étincelles d’énergie bleu et blanche se libérèrent de son corps pour venir se concentrer entre ses mains. La danse de particules s’étira sur quelques instants jusqu’à la formation d’une boule dense et suintante d’énergie. Il reprit :

  • Avance Joseph. Pardonne-moi pour ce qui va suivre.

D’un geste vif de la main, le céleste enfonça la boule d’énergie dans l’abdomen du soldat qui s’écroula instantanément. Une douleur intense se propagea alors dans son corps, des spasmes raidirent l’intégralité de ses muscles laissant le gaillard agonisant au sol. Son front se mit à perler, son souffle devint erratique, son sang commença à bouillir décuplant la pression sur ses tempes, ses yeux semblaient imbibés d’acide, aucune partie de son corps ne fut épargnée. Puis, aussi brusquement qu’elle était apparue, la douleur se dissipa, laissant le soldat dubitatif. Il balbutia :

  • Que… Que m’avez-vous fait ?
  • Un peu plus de reconnaissance de ta part serait la bienvenue, Sire céleste Joseph, lança-t-il en arborant un sourire charmeur. Je t’ai offert ma force, te voilà dorénavant céleste, officieusement je veux dire. Officiellement, tu restes un simple humain sans titre qui risque de soulever quelques interrogations. Cependant, je ne me fais aucun souci sur ta capacité à gérer la situation avec brio.

Le premier né matérialisa une fine surface réfléchissante devant le visage de l’homme toujours allongé afin de confirmer ses dires.

  • Mes yeux… Bleus ? Suis-je vraiment un céleste ? demanda-t-il surpris.
  • Laisse-moi t’expliquer, reprit le premier né sur un ton moins enjoué, tu disposes désormais de l’étincelle nécessaire à ton développement. Autrement dit, j’ai donné à ton corps humain le petit coup de pouce pour dépasser ses limites. Mais cela ne suffit pas pour devenir un céleste, ton corps va résister un mois tout au plus avant de nécroser. Il nous faudra le purifier avant ton décès prématuré. Mais cela nous le verrons à ton retour, une petite motivation supplémentaire pour m’assurer de ton entière implication.

Bien que furieux, Joseph restait silencieux. L’archange avait parfaitement conscience de la colère grondant au fond du soldat, mais il n’en tint pas compte. Il prolongea son monologue :

  • Passons aux choses concrètes. Ta mission est la suivante, il te faut rassembler les troupes nécessaires pour éliminer mon frère, Velnhia, notre cher régent. Pour ce faire tu vas avoir besoin de ceci, expliqua-t-il calmement en sortant de sa poche un petit papier plié en quatre. Je veux que tu te diriges vers Nelium, là-bas est cachée ma fortune. Trouve Vanul, il est digne de confiance, il te guidera dans la marche à suivre. Dans un second temps, tu prendras contact avec la troupe de mercenaires sous les ordres d’Emeziel, j’ai par le passé usé de leur service. Une fois le rendez-vous convenu, tu utiliseras ceci.

Comme pour créer une tension, il sortit un objet qu’il cachait dans une poche. Il laissa quelques secondes à l’humain pour considérer la pierre taillée avant de reprendre :

  • Cette rune me permettra d’ancrer un portail, garde-la précieusement. As-tu des questions ?
  • Aucune, Seigneur céleste, réussit-il à articuler en ravalant sa rage.
  • Très bien, rejoins Vanul, il loge non loin de la demeure principale, une bâtisse nommée Eden. Suis ses instructions et prends contact avec les mercenaires. Accomplis ceci avec brio et je ferai de toi un véritable céleste. Sois discret, n’attire pas l’attention, personne ne doit connaître tes intentions ou tes affiliations. Tu n’existes plus, jusqu’à ce que ma place me revienne. Vois avec mon aide s’il te faut quoi que ce soit. J’attends beaucoup de toi, ne me déçois pas, Joseph de La Compassion.

La seconde suivante, les deux interlocuteurs retrouvèrent la chaleur du petit bureau de l’intendant, Thola fit un rapide signe pour congédier le soldat. Joseph inclina respectueusement son buste puis il sortit sans demander son reste. Tout se bousculait dans sa tête, devait-il être heureux de la chance qui lui était offerte ? Le premier né l’utilisait de façon retorse. Un simple mois avant que son corps ne dépérisse, il n’avait nullement besoin de motivation supplémentaire pour être loyal et efficace. Le comportement à la fois flatteur et manipulateur du céleste l’énervait, il soupira. Qu’importe, un ordre est un ordre et, comme à son habitude, il mènerait celui-ci à bien.

Chapitre 2-3 : Direction Cor’vinus

L’esprit embrumé par la colère, Joseph quitta le bureau de l’intendant d’un pas rapide et décidé, une pointe d’adrénaline qui lui fit éluder les changements que subissait son corps. Il fut vite rappelé à l’ordre lorsque la douleur se fit omniprésente, le contrecoup de l’intronisation n’avait rien de plaisant, courbatures, maux de tête, nausées, troubles de la vue et de l’équilibre, le soldat connaissait par cœur les effets secondaires. Cependant, lire et subir furent deux expériences bien distinctes, il pesta tout en se forçant à avancer. Au détour d’un couloir, il rencontra l’intendant de Thola qui se joignit à sa marche sans dire mot. Le jeune homme pénétra dans la chambre qui était allouée au soldat et d’un geste de la main, il lui montra le paquetage disposé soigneusement sur le lit.

  • J’ai pris soin de préparer quelques affaires pour votre départ. Ne connaissant pas votre destination j’ai réuni une somme confortable, deux cents pièces d’or. J’ai joint à cela deux barres de nilarium pour une valeur respective de huit cent trente-sept pièces d’or chacune, selon le taux de change en vigueur bien entendu.

Après avoir reposé la bourse, l’aide saisit délicatement une enveloppe posée sur le lit de laquelle il tira quelques feuilles :

  • Voici vos nouveaux documents. En règle bien évidemment. Vous êtes affranchi comme me l’a demandé le Seigneur céleste Thola, je vous conseille tout de même la plus grande prudence. Les humains affranchis sont souvent pris pour cible et…
  • Je te remercie pour ta sollicitude, interrompit sèchement Joseph.
  • Pardonnez-moi, je m’égare. J’ai pris pour peine de préparer votre trajet, je vais vous ouvrir le portail vers Cor’vinus et d’ici vous…
  • Je te remercie pour ton travail intendant, mais je m’en sortirai. Rejoins-moi au portail dans un quart d’heure, pour le moment tu peux disposer.
  • Très bien Monsieur.

Le jeune homme, visiblement irrité par ce manque de considération, s’efforça de rester courtois. Il inclina brièvement son buste en signe de respect puis il se dirigea vers la porte. Troublé, il se stoppa avant de quitter la pièce et demanda :

  • Me permettez-vous de vous poser une question indiscrète ?
  • Je t’écoute.
  • Je…, êtes-vous intronisé ? Un céleste ? balbutia-t-il.
  • Tu as toi-même rempli mes papiers, je ne suis qu’un simple humain affranchi, répondit Joseph forçant un sourire.
  • Entendu, se renfrogna simplement l’aide perdu dans ses pensées. Je comprends, désolé pour mon impudence monsieur. Je vous souhaite un bon voyage.

Le jeune homme passa finalement le pas de la porte qu’il claqua sans considération pour son invité. Joseph soupira bruyamment, ses muscles et sa tête le faisaient horriblement souffrir. Après quelques mouvements d’épaules et de brefs étirements pour tenter de faire passer la douleur, il se saisit de son balluchon pour en tirer une bourse de cuir. Il en sortit une petite bille verte, un mélange d’herbes fabriqué dans les terres nord du royaume. Il s’empressa de l’avaler puis il but une gorgée du broc disposé sur sa table de nuit. Sa tête tournait, le simple mouvement qu’il effectua pour boire suffit à lui faire perdre pied. Ses yeux le brûlaient, à croire que Thola voulait sa mort plutôt qu’une mission dûment remplie. Il pesta tout en s’asseyant sur le bord de son lit, il disposait pourtant d’une excellente constitution et se voir affaibli à ce point le mit de mauvaise humeur. Il resta là à fixer bêtement le sol, essayant de ne pas succomber à sa nausée montante, attendant patiemment que les herbes fassent leur effet. Quelques minutes passèrent avant qu’il puisse se remettre sur pied, le mélange avait anesthésié son estomac, mais ses muscles restaient extrêmement douloureux. Il se mit à regrouper ses affaires, lentement, calculant chacun de ses gestes pour limiter la douleur l’accablant. Il sortit finalement de la chambre après une longue et intense bataille, le visage pâle et fatigué, le front perlant. Il se dirigea vers le couloir traversant le quartier des aides de maison, celui qu’il avait emprunté en arrivant la veille, avançant plus lentement qu’un vieil homme malade arrivant au terme de sa vie. La mission attendrait, son unique but étant de rejoindre la cité pour y trouver une chambre où séjourner le temps de récupérer ses forces. Il traversa le couloir puis la cour, haletant, des regards curieux l’observant quitter le domaine en traînant son balluchon. Il s’arrêta à quelques pas du portail où l’attendait l’aide de Thola, Joseph s’exclama d’un râle :

  • Monsieur, je ne suis pas sûr que vous soyez…
  • Par le divin… Ouvre !
  • Bien, répondit vexé le jeune homme.

Il appuya sur une rune gravée directement sur le côté du portail matérialisant une nappe d’énergie bleue.

  • Merci, répondit sèchement le soldat avant de s’engouffrer dans le passage.

En un battement de cils, Joseph émergea à un millier de kilomètres de sa position initiale, sous une énorme voûte composée de vitraux. La zone de transit de Cor’vinus, le centre névralgique du premier royaume, le point de départ ou d’arrivée pour tous les voyageurs. Marchands et marchandises, soldats, humains, esclaves, bougeaient, criaient, un brouhaha infernal amplifié par l’architecture du bâtiment. Le bruit réverbéré lui vrillait les tympans et par la même occasion achevait de marteler son cerveau. Il grommela tout en pressant le pas vers la sortie la plus proche. À cet instant, il n’espérait qu’une chose, qu’aucun garde ne vienne lui demander amende honorable, il baissa la tête priant pour que son état ne soulève aucune question indésirable. En vain :

  • Soldat, arrête-toi là ! Lève la tête que l’on puisse voir un peu ! lança un premier garde dans sa direction tandis que les deux autres l’encerclaient. Tu as une sale trogne, d’où viens-tu comme ça ?

D’un geste injonctif de la main, le céleste l’invita à présenter ses papiers :

  • Écoutez, tout est en règle, je suis juste fatigué… mentit Joseph sachant pertinemment que sa situation d’affranchi éveillerait les soupçons.
  • Ce n’est pas à toi d’en décider, c’est notre rôle de surveiller et protéger la cité mère, alors sors-nous tes papiers, lança d’un ton réprobateur l’homme à la tête de l’escouade.

Joseph, dépité, sortit ses documents. On pouvait aisément sentir que cette simple requête lui demandait un effort considérable. L’officiel les lui arracha des mains puis il débuta aussitôt la lecture. C’est à la suite de quelques soubresauts qu’il reprit la conversation sur un ton déplaisant :

  • Tiens donc… Un affranchi, aux yeux divins ! Une perle rare, les gars ! On a touché le gros lot ! s’esclaffa-t-il cherchant l’appui de ses camarades. Et donc Joseph le céleste affranchi, que viens-tu faire à Cor’vinus ?
  • À votre avis, renvoya-t-il sèchement en le regardant droit dans les yeux. Je viens cirer votre cul pour qu’il luise lorsque vous vous pavanez en emmerdant les honnêtes gens.

Il est clair que la finesse de mon enfant ne transparut pas à cet instant précis. La réaction des gardes fut immédiate, l’un d’eux décrocha une droite dans la mâchoire du soldat qui s’écroula de tout son long attirant au passage les regards des voyageurs alentour. Joseph, du sang plein la bouche, ne put retenir un rictus, mélange de fatigue, colère et résignation.

  • On va te faire passer l’envie de sourire ! fulmina l’un d’eux. Le garde enragé enchaîna par un coup de pied dirigé vers le ventre de Joseph.

Acte qu’il regretta instantanément ; le pourpoint enchanté s’étant raidi au moment de l’impact, il se roula au sol tenant sa jambe tout en pestant comme le diable. Les deux hommes râlaient de façon compulsive, offrant un spectacle tout à fait distrayant pour qui voulait s’y intéresser. Une voix féminine vint mettre un terme à la mascarade :

  • Il suffit ! ordonna-t-elle. Vous êtes ridicules, dégagez de ma vue !
  • Et à qui doit-on obéissance ? rétorqua un garde ironiquement.
  • Naïmah de La Fierté, céleste formée à l’ésotérisme par l’archange Vehkiel, régent de la troisième maison de La Fierté. Maintenant dégagez avant que je ne vous pulvérise !
  • ‘chier, grommela le chef du groupe en tendant la main à son compagnon toujours au sol.

Elle se tint stoïque, foudroyant du regard les gardes qu’elle força à déguerpir promptement. Une fois qu’ils eurent quitté les lieux, son expression changea pour un sourire radieux, une expression amicale bienveillante.

  • Tu as une sale tronche mon vieux, tu me ferais presque pitié, taquina-t-elle.
  • Nève ? Aide-moi plutôt à me relever, s’étonna le soldat dont le teint pâle aurait inquiété n’importe quel guérisseur.

La céleste releva son compagnon, son attention se porta sur le regard de Joseph, elle enchaîna sur un rythme effréné :

  • Qu’as-tu fait à ces gardes et que fais-tu ici ? Bordel, depuis quand es-tu intronisé ? Tu viens à peine de passer les trois siècles ! D’ailleurs ne m’appelle plus Nève, je suis intronisée, c’est Naïmah de la Fierté maintenant.
  • Si tu veux… On peut en parler plus tard ? Je ne tiens plus emmène-moi à l’auberge…

Joseph n’eut pas le temps de conclure sa phrase, il s’évanouit dans les bras de sa bienfaitrice. Naïmah, bien que de carrure fragile, n’eut aucun mal à le transporter sur la distance les séparant du plus proche lieu de repos. La jeune femme, seulement d’apparence car approchant du demi-millénaire, arborait une magnifique chevelure argentée lui tombant au milieu du dos, ses cheveux lisses fixés par plusieurs broches laissaient apparaître un visage gracieux sublimé par deux yeux bleus. Regard qu’elle flattait par un léger maquillage maîtrisé. La céleste aimait les bijoux, elle portait deux paires de boucles d’oreilles, l’une représentant l’emblème de sa maison ainsi que des petites dormeuses en nilarium. Pour compléter sa panoplie, au milieu de son décolleté tombait une fine chaîne d’argent sertie d’une pierre précieuse. Ses vêtements, légers, se composaient d’un chemisier laissant apparaître la peau fine de ses seins, d’un pantalon en tissu blanc soulignant l’arrondi de ses hanches et d’une paire de bottes en cuir montant jusqu’au début des mollets. Une très belle femme, aussi belle que dangereuse selon Joseph, une amie de longue date ou une aventure légère en fonction du point de vue et des époques.

 Il faisait nuit depuis plusieurs heures dans cette petite chambre faiblement éclairée par une lampe posée sur la table de nuit. Une petite lueur bleue dansant entre quatre parois de verre offrait juste assez de lumière pour distinguer une silhouette gracile assise dans un coin de la pièce. Elle avait les yeux rivés sur son ami couché dans un petit lit en bois. La solitude et le silence lui permettaient de se remémorer ses années passées avec lui au sein de la maison de La Grâce. La porte, Medhan, leurs missions, leurs amis, leurs rires, les années passées côte à côte, les nuits dans ses bras…

Un siècle en arrière, le temps file au sein du premier royaume, il nous façonne au gré de nos maîtres, de nos maisons, de nos missions. De l’amour pour cet homme ? Nullement, c’est une chose que l’on élude au fil des siècles, un sentiment qui s’oublie lorsque l’on s’apparente à un vase, une simple marchandise, un objet de transaction. Alors on se renferme, on se coupe, on emprisonne son âme, ses sentiments, mes sentiments, je reste humaine après tout… Ou du moins en profondeur, même si je m’efforce de ne plus y croire, de me détacher, toujours plus, chaque jour. Appartenir à la caste céleste, agir en tant que tel. De l’amour pour cet homme ? Il est là sous mes yeux, à portée de main, mon cœur s’emballe, il dit peut-être, je lui réponds non, définitivement non, à quoi bon ressentir lorsque sa vie ne dépend que de l’humeur d’un diable aux ailes blanches ? À quoi bon s’émoustiller, à quoi bon offrir son cœur quand celui-ci finira par être dévoré… Non ! Je n’aime pas cet homme…

Joseph émergea lentement de sa torpeur, il posa finalement son regard sur Nève. Son esprit semblait si loin, il la fixa un court instant avant de racler sa gorge dans l’espoir de capter son attention. Il lui sourit sincèrement, une politesse qu’elle lui rendit aussitôt le cœur serré :

  • Depuis combien de temps suis-je alité ? demanda-t-il doucement.
  • À peine quelques heures… J’ai fait descendre ta température et j’ai distillé un peu de mon énergie dans ton corps pour soulager tes muscles. Mais… Je reste dubitative, ton rituel n’est pas achevé… Ton corps ne va pas supporter la surcharge d’énergie, tu vas mourir Joseph ! s’inquiéta l’évocatrice.
  • Je sais, je sais, ne t’en fais pas tout est sous contrôle, soupira-t-il.
  • Tu ne comptes pas m’expliquer ? Tu t’effondres dans mes bras deux minutes après avoir émergé d’un portail et tout est sous contrôle. Mais bon me voilà rassurée, le grand Joseph est un intronisé affranchi sans rituel de purification, mais rien à craindre, il contrôle tout !
  • Par le divin ! Calme-toi et arrête de monter dans les tours, je t’explique.
  • Merci ! lâcha-t-elle accompagnée d’un mouvement de bras démonstratif.
  • Pour faire court, je suis sous les ordres de l’archange Thola de La Compassion, celui-ci m’a chargé de trouver un certain Vanul.

Joseph se redressa dans son lit pour s’adosser contre le mur et faire face à son amie. Nève attendit la suite du récit, mais il ne continua pas, il resta là, fixant bêtement son visage, un sourire en coin. Elle le bombarda de nouveau :

  • Et c’est tout ? Pourquoi es-tu affranchi ? La raison de ton intronisation bâclée ? Qui est ce Vanul ?
  • Je ne peux t’en dire plus Nève, la discrétion est de mise, je suis désolé…

Il la fixa de nouveau, il connaissait ces yeux, la colère montante prête à jaillir. Il tenta de couper l’herbe sous le pied de la céleste en la questionnant à son tour :

  • Et toi, que fais-tu ici ?
  • Bien, change de sujet ! La prochaine fois que des blaireaux te passeront à tabac, compte sur moi pour voler à ton secours ! lança-t-elle avec ironie.
  • Nève…
  • Je suis en vacances, soupira-t-elle.
  • Et depuis quand les vacances existent au premier royaume ?
  • Je pars faire mon insertion, je suis envoyée au deuxième royaume dans les mois qui viennent. J’ai fait trop de sacrifices pour finir céleste de bas rang, simple garde. Patrouiller et contrôler les humains, je laisse cela aux petites gens sans ambition. Alors je pars faire mes preuves en enfer. Je compte bien prendre place au côté de l’archange Vehkiel.
  • Ou mourir seule perdue dans les terres désolées, l’interrompit Joseph.
  • Je dois tenter ma chance et puis j’ai quelques atouts supplémentaires depuis notre dernière rencontre.

Comme pour compléter ses dires, elle dirigea son regard vers la lampe qui contenait son évocation luminescente. Son ami eut quelques doutes lorsqu’il vit cette petite boule vacillante éclairer la salle :

    • La magie, espérons que cela soit suffisant… Nève, je suis fatigué, nous finirons cette conversation plus tard si tu le veux bien.
  • Bien sûr, rendors-toi, conclut Naïmah d’une voix douce, elle se tassa doucement puis elle enfonça sa tête dans ses bras attendant que le sommeil la trouve.

Chapitre 2-4 : Loyauté

Voilà plusieurs heures que les premiers rayons du soleil perçaient les vitraux de la taverne. Dans cet établissement raffiné du quartier humain de Cor’vinus, une femme aux cheveux argentés patientait accoudée à une table, un verre d’alcool à la main. Seule dans cette salle vide, exempt du tenancier préparant la tambouille dans l’arrière-cuisine, elle vida rapidement le reste du spiritueux. L’objet devenu inintéressant, son regard quitta le breuvage pour observer ce qui l’entourait. Une pièce lumineuse composée de pierres blanches aux apparats poussés comprenant plusieurs rangées de tables en bois de bonne facture et stylisées dans lesquelles étaient gravées de multiples citations bien connues des habitants du premier royaume : “Depuis l’éternité nous dominons, pour le salut des trois royaumes nous dirigerons.” La jeune femme ricana à la lecture.

Encore faudrait-il que les célestes soient capables de cohabiter et de stopper leurs quêtes de pouvoir. Depuis des millénaires ils se massacrent à tour de bras, dans des conquêtes futiles, des coups d’État ou autres actions tordues pour grappiller une once de pouvoir. Malheureusement pour eux ils ne peuvent plus procréer, ce qui à force d’action stupide a drastiquement réduit leur nombre. Malgré tout leur dédain pour la race humaine, l’intronisation reste la seule solution pour les célestes de maintenir leur population à flot. Ils s’assurent bien évidemment de la docilité parfaite du candidat à élever, et ce par une longue propagande continue et intensive. “Les célestes sont le salut”, “À force d’abnégation votre élévation viendra”, “Servez, obéissez, apprenez, les humains ne sont que des primates bons à être dirigés”. Offrir une maigre chance de se voir couronner contre obéissance et dévotion, un stratagème aussi vieux que la nuit des temps… Et peu importent les différences entre les deux royaumes, le subterfuge reste le même.

  • Naïmah, où est-il ? lança un homme passant la porte d’entrée.
  • En haut, il se repose.
  • Bien, faisons vite. Le Seigneur céleste Vehkiel veut que tu lui fasses un rapport régulier sur l’évolution de la situation. Thola ne doit pas s’en sortir, c’est l’occasion de se débarrasser de cet emmerdeur sans faire trop de vagues. Accompagne ton ancien ami par tous les moyens, tu as carte blanche.
  • Et que dois-je faire de Joseph une fois l’affaire réglée ? murmura la jeune femme.
  • Débarrasse-t’en, il n’est d’aucune utilité, négocie ça finement, Naïmah. Pas de vague, Thola reste le frère de Velnhia. Ce n’est pas sûr qu’il apprécie que la maison de La Fierté se débarrasse de sa famille.
  • Nullement besoin de me le rappeler. Rien de plus de notre informateur ?
  • Non, simplement Joseph. Thola l’a joué discrète sur ce coup… continua l’homme tout en se dirigeant vers l’entrée. D’après mes informations, Vanul se trouverait à Nelium. Je suis désolé, difficile de regrouper plus d’informations en si peu de temps. Bonne chance et que le divin te protège.

Une fois qu’il eut quitté la taverne, la céleste se dirigea vers le comptoir sur lequel elle déposa une poignée de pièces. Le tenancier leva finalement la tête de ses gamelles afin de remercier sa cliente, elle le salua à son tour avant de s’engager dans les escaliers menant à l’étage. Elle entrouvrit doucement la porte de la chambre, Joseph dormait toujours. Elle y pénétra sur la pointe des pieds puis elle posa sa main sur le front du soldat. Son état général s’améliorait, mais il perdait du temps à rester alité. Nève soupira avant de retirer sa chaîne en argent qu’elle déposa délicatement sur le torse de son ami. Elle n’aimait pas se séparer de son catalyseur, mais l’état de Joseph ne lui laissait que peu de choix. Concentrée, elle tendit ses bras, paumes vers le ciel, matérialisant deux petites billes bleues d’énergie dans le creux de ses mains. D’un mouvement maîtrisé, elle vint joindre ses doigts de manière à fusionner les deux boules au-dessus du pendentif se trouvant sur le torse du soldat. Elle resta ainsi un instant, laissant descendre lentement l’énergie qui se fusionna à la pierre précieuse faisant se mouvoir les ombres de la chambre. Le collier commença à vibrer puis à chauffer. Pour conclure son évocation et stopper la détérioration du catalyseur, elle effectua de sa main droite de petits mouvements formant un signe rémanent qui s’évapora. Elle s’empressa ensuite de passer le collier autour du cou de Joseph. Elle griffonna quelques mots sur une feuille : Je reviens dans quelques heures. Nève” avant de partir comme elle était venue, une ombre bienveillante entourant le soldat.

Joseph ne se réveilla que tard dans l’après-midi, pour son plus grand bonheur les maux de tête, les douleurs, les nausées, tout ceci avait disparu. Il s’arrêta un court instant sur le pendentif autour de son cou, mais ne sachant que faire avec il le garda sans se poser de plus amples questions. Il profita du bac d’eau disposé dans la chambre pour faire une toilette sommaire puis il enfila son équipement. Il se sentait bien, la forme des grands jours, ses muscles gonflés à bloc, l’impression de pouvoir soulever une montagne, il descendit rapidement les marches pour arriver dans la salle de service. Il n’y trouva que quelques clients attelés à boire, il était visiblement trop tôt pour l’heure d’affluence. Une expression soulagée se dessina sur son visage, il allait pouvoir manger un petit quelque chose avant de prendre la route.

  • Tenancier, une assiette de ce qu’il te reste du midi et donne le prix pour la chambre avec, lança gaiement Joseph à l’homme situé derrière son comptoir.
  • Tout est payé soldat et pour la pitance je t’apporte cela dans la foulée. Ah ! La Sire céleste m’a chargé de te faire attendre, tes consommations sont payées, dit-il tout aussi joyeusement.
  • Merci pour le message, mais je mange et je prends la route. Sers-moi une bière avec la pitance, veux-tu ?
  • Qu’as-tu d’aussi urgent pour ne pas attendre une si belle dame ?
  • Rien qui ne te concerne, puis notant que sa réponse fut un peu brute, il rebondit. Pas grand monde encore ?
  • Rien qui ne te concerne soldat, répondit vexé le tenancier.
  • Qu’importe, je ne suis pas là pour bavarder. Amène mon assiette, je t’en saurais gré, j’ai l’estomac dans les talons.

Il profita de cet instant de pleine conscience, seul face à son assiette, pour se ressasser les événements. La manipulation de Thola, son intronisation bâclée, il fulmina devant sa propre stupidité, espérer qu’un divin joue la carte de l’honnêteté.

Un mois, un seul petit mois, quelle ordure ! Quel monde stupide ! Il y a plus de vertu dans une catin que dans toute la population céleste réunie !

Joseph, affamé et énervé, engloutit son assiette en quelques minutes puis sans demander son reste, il ramassa son balluchon avant de se diriger vers l’entrée. Alors qu’il franchissait la porte, la voix de Nève s’éleva :

  • Attendre, Joseph, dois-je te rappeler la définition ? lança-t-elle énervée.
  • Je te remercie de ton aide, je t’en dois une, mais il faut que j’y aille.
  • Pourquoi crois-tu que je suis ici ? Je t’accompagne.
  • Hors de question ! Sans appel, à une prochaine Nève.
  • Cela ne va pas m’empêcher de te suivre, tu as besoin de moi, tu as vu l’état dans lequel je t’ai trouvé ? et puis tu as mon catalyseur.
  • Je te le rends si ça ne tient qu’à ça, répondit le soldat blasé.
  • Hors de question, répéta-t-elle lentement par simple moquerie puis elle reprit d’un ton plus sérieux et paternaliste : l’énergie qu’il diffuse va ralentir l’effet du rituel bâclé, sans ça je te donne trois semaines.

Ils se regardèrent pendant un long moment, cherchant l’un comme l’autre à convaincre. Nève coupa court aux pensées de Joseph avec une nouvelle approche :

  • Écoute, je ne te ralentirai pas, je resterai discrète, si tu me demandes de m’éclipser, je le ferai, mais laisse-moi t’accompagner, s’il te plaît. Je pourrais t’être utile…

Il y eut un moment de flottement durant lequel Joseph afficha plusieurs émotions avant de concéder :

  • Très bien, j’accepte… Par le divin, que tu peux être chiante et têtue.
  • Je sais, rétorqua-t-elle souriante, où va-t-on ?
  • Pas de question !
  • De toute façon je le saurai en arrivant !
  • Pourquoi poses-tu la question alors ? grommela-t-il.

Joseph affichait un air résigné, il ne la connaissait que trop bien, aucune chance de la faire changer d’avis. Nève avait déjà profité de ses quelques heures d’absence pour enfiler une tenue plus adéquate. Elle portait un gilet court en lin couvrant un pourpoint de cuir lacé ainsi qu’un pantalon serré. Elle avait arrangé ses cheveux en chignon pour qu’ils ne lui soient pas défavorables au combat. Dans son dos se trouvaient son paquetage ainsi que son nécessaire de voyage. Sur le haut de ses fesses trônait une épée courte assez similaire à Grâce, l’épée bâtarde de Joseph. Pour finir, elle avait caché une dague sur chacune de ses cuisses, deux armes dissimulables bien plus pratiques pour l’assassinat. Joseph entama la conversation alors qu’ils quittaient l’auberge :

  • Direction la zone de transit, il nous faut un portail vers le sud, à l’est du territoire de La Compassion.
  • Territoire de Keinil, anciennement Thola ? questionna-t-elle.
  • Exactement, je vois que je n’ai rien à t’apprendre.
  • Prenons le portail qui mène à Nelium, lança-t-elle ignorant sa remarque.
  • Hors de question, je pencherais pour une téléportation dans un petit village ou en zone neutre, je préfère rester discret.
  • Comment comptes-tu rester discret dans l’une des régions les plus fortifiées et surveillées du royaume ? On ne circule pas dans les zones d’exploitation de nilarium comme on circule à Cor’vinus, souligna l’évocatrice comme pour marquer la dangerosité de l’endroit où Joseph les dirigeait.
  • Pas de question Nève, tu suis ou tu restes.
  • C’est Naïmah maintenant, vieux grincheux… Tu nous emmènes dans un sacré merdier, je comprends mieux pourquoi Thola a fait appel à toi. J’ai bien fait de ne prendre aucun papier, ni signe distinctif, on va sûrement devoir se frayer un chemin à coups d’épée.
  • Nous voilà deux clandestins cherchant à se faufiler dans une région réputée impénétrable… Je pense que l’on n’aura pas le choix. Plus vite j’en aurai fini avec cette histoire, mieux je me porterai.

Joseph se coupa, pensif, avant de reprendre :

    • Le mieux reste de prendre le portail pour Zéphès. On atterrit en limite des terres sauvages, en pleine zone neutre et donc sans garde de La Compassion… Un pari risqué qui nous oblige à faire le reste de la route à cheval, mais ça reste le plus sûr.
    • Effectivement, il faut compter une bonne semaine si le temps est clément. On trouvera sûrement tout ce qu’il nous faut à Zéphès, tant que l’on y met le prix.
    • C’est décidé, en avant.
  • Comme au bon vieux temps Joseph, lança-t-elle tout sourire.

Commandement VII – XXIX – Humain – litige

Rappel : Un humain est la propriété directe de son détenteur

    • Un humain ne peut être jugé que par son détenteur.
    • Chacune des actions d’un humain pourra être imputée à son détenteur.
    • Si l’humain se révèle être la cause d’un litige, la partie lésée peut demander réparation au détenteur.
    • Une partie lésée est autorisée à demander la mort d’un humain si celui-ci juge la sentence nécessaire à sa réparation.
    • Une partie lésée ne peut en aucun cas effectuer la mise à mort sans le consentement du détenteur.
  • Si un humain se retrouvait en incapacité ou tué par une tierce partie, le détenteur peut demander réparation à la tierce partie en tant que partie lésée.

Chapitre 3-1 : La zone de transit

Nos deux compagnons, décidés sur la marche à suivre, se faufilaient à travers les ruelles de la basse ville de Cor’vinus. Nidum, l’un des six quartiers réservés aux esclaves, une zone résidentielle accolée au cœur de la cité mère, s’étirait sur une dizaine de kilomètres pour trois de largeur. Les humains s’y trouvant servaient principalement de manutentionnaires, les hommes y étaient bien bâtis, résultante du dur labeur auquel on les astreignait. Une population de gaillards où les rares femmes étaient objets de plaisir, une simple récompense distribuée par les célestes pour s’assurer loyauté et satisfaction. Une zone exiguë et densément peuplée aux ruelles teintées de sang, la mort visitant fidèlement cette partie de la ville à la nuit tombée. Les voleurs et les cartels faisaient loi, chacun devant se plier à la volonté du plus fort sous peine de se retrouver éviscéré en place publique. Un quartier humain comme les autres, laissé à l’abandon par les célestes, si tant est qu’aucun cadavre ne vienne rouler à leurs pieds. À contrario de sa populace, le quartier resplendissait, une merveille d’architecture et d’ingéniosité, essentiellement composé de hauts bâtiments accolés les uns aux autres, séparés par de petites ruelles. Pour pallier le manque de luminosité au sein de ce labyrinthe, un système ingénieux de plaques captait la lumière au sommet des bâtiments et la restituait partout où elle ne se faufilait pas. Au milieu de ce dédale, émergeaient ci et là, de petites places grouillantes de monde, lieux d’échange et de vie dans cet environnement étouffant. Nidum, digne représentant du premier royaume, resplendissant et terrifiant à la fois.

  • J’espère que tu es certain de ton approche, ça ne va pas être une promenade de santé ton affaire.
  • Écoute, tu restes la mieux placée pour savoir que ce n’est pas ma première danse, répondit-il dépité tout en la foudroyant du regard.
  • Ah ! Voilà la zone de transit, lança-t-elle heureuse de pouvoir détourner la conversation. As-tu un plan pour gérer les gardes ?
  • À vrai dire, j’espérais que Naïmah l’évocatrice de La Fierté puisse nous faire passer… Sinon j’improviserai.
  • Sans mes papiers je ne vaux pas mieux que Joseph le céleste au rituel bâclé. Ce qui nous laisse donc avec tes talents d’improvisation, mais là… hésita-t-elle.
  • Quoi, mais là ?
  • De souvenir, la dernière fois que tu as improvisé tu as failli perdre la vie sous les coups d’un céleste et je m’en suis sortie de justesse, alors permets-moi d’émettre quelques réserves.
  • Il y a plus d’un siècle de cela et tu es la première à avoir foncé tête baissée !
  • C’était ton plan à la base ! rétorqua-t-elle irritée.
  • Bordel de… Cinq minutes, cinq minutes et tu me stresses déjà !
  • C’est moi qui te stresse ? On fonce droit dans la gueule du loup et je suis le centre de tes soucis ?
  • Par le divin, Nève, contente-toi de te taire et épargne-moi tes remarques !
  • À vos ordres, Sire céleste, conclut-elle d’un ton dédaigneux.

Tous deux approchèrent de leur destination dans un silence religieux, vexés, boudant comme un vieux couple après une dispute stupide. Ils pénétrèrent dans le bâtiment par la grande porte nord, l’endroit grouillait, les voyageurs se croisaient dans un flot continu et étouffant. La zone de transit, une structure vieille de plusieurs millénaires longue à en perdre son regard et à la voûte hors d’atteinte, une place centrale comptant six cent dix-neuf passages comme l’indiquait si fièrement une plaque à l’entrée, un condensé de magie liant la quasi-totalité du premier royaume, de Cor’vinus aux abords de la zone sauvage. Bien que l’endroit pullulât de gardes, tous les portails n’étaient pas surveillés, seulement ceux présentant un quelconque risque d’attaque ou de contrebande. Bien évidemment, un passage vers une ville neutre proche d’une zone de minage ne pouvait être laissé sans surveillance, Joseph approchant de son objectif compta quatre gardes. Moins de dix mètres les séparaient du portail, le plus proche des hommes en poste les interpella :

  • Pardon, mais l’accès à ce portail est restreint, veui…
  • J’improvise, lança-t-il à voix basse en direction de Naïmah.

Le céleste n’eut pas le temps de finir sa phrase, Joseph se rapprochait déjà en quelques vifs appuis. Une action qui prit le garde de court, celui-ci n’eut pas le temps de sortir sa lame de son fourreau, son assaillant avait déjà pénétré sa garde. Le poing massif de l’affranchi s’écrasa contre sa mâchoire, un bruit de dents qui claquent résonna. Nève, bien que surprise, suivit l’initiative de son compagnon, en une fraction de seconde elle se saisit de l’une de ses dagues qu’elle lança dans le torse d’un deuxième céleste. Le soldat profita de l’ouverture pour assener un puissant coup de pied, l’impact propulsa le pauvre homme qui s’écrasa lourdement contre le portail. Joseph, au cœur de l’action, ne vit que bien trop tard l’un des deux derniers gardes abattre son épée. Heureusement pour lui Nève fut prompte à réagir. Du bout de ses doigts, elle matérialisa un glyphe duquel jaillit un pic de glace qui vint se planter dans le flanc de sa cible protégeant ainsi in extremis son ami.

  • Portail ! hurla-t-elle tout en continuant son é

Elle acheva le garde blessé d’un deuxième morceau de glace dans le crâne, il s’écroula sous les yeux des voyageurs stupéfaits. Joseph, libéré de ses assaillants, se rua vers le portail alors qu’un troisième pic de glace lui frôla le visage. Le dernier céleste encore debout dévia facilement le projectile avant de tenter une estocade. Le soldat évita l’attaque in extremis en se jetant assez maladroitement sur sa droite. En réponse, Nève mobilisa son énergie afin d’envoyer une salve de trois projectiles, un seul toucha. Le pic de glace finit sa course dans la gorge du dernier opposant qui s’écroula dans un gargarisme sanglant.

Bien que brève, leur joute attira l’attention, Joseph se dépêcha de rejoindre le portail. D’un rapide coup d’œil il isola la rune commandant l’ouverture, la nappe bleue se matérialisa. Nève fut la première à bondir dans le passage, suivie de près par son compagnon.

Chapitre 3-2 : Zephès

À quelques milliers de kilomètres, dans une salle faiblement éclairée, deux individus émergèrent d’un portail sous les yeux étonnés de la dizaine de personnes présentes. Une jeune femme aux cheveux argentés appliqua sa main sur les pierres du portique et d’une simple onde de choc magique, elle referma le passage.

  • On devrait être tranquille un moment, ou pas… dit-elle haletante en levant les yeux vers la bande dégainant lentement.
  • Chopez-les ! beugla le plus robuste.

Au moment précis où le groupe commença à charger, Nève leva ses deux bras, une aura bleue se libéra de son corps migrant rapidement vers ses paumes, l’énergie agissant tel un liquide coulant le long d’une surface. Un gigantesque glyphe se matérialisa devant elle, l’énergie se condensa au centre de la forme mystique flottante. Ses yeux bleus imbibés de pouvoir perçaient la pénombre de la petite salle puis d’un mouvement vif elle plaqua ses mains contre le sol. Tout ce qui se trouvait devant elle se cristallisa instantanément. Joseph resta bouche bée devant la puissance de son amie.

  • Tue-les, ordonna Naïmah fébrile.

Les pauvres bougres, changés en statues de glace, se retrouvèrent spectateurs de leur propre exécution, achevés sans concession par un bourreau méthodique. Un assassin méticuleux passant lentement de cible en cible, quelques secondes interminables avant la fin.

  • Nève, comment te sens-tu ? Il nous faut partir au plus vite.
  • Encore une seconde, j’ai du mal à tenir debout…
  • D’accord, remets-toi. Je pars en éclaireur.

Joseph entrouvrit l’unique porte de la salle donnant sur un couloir désert qui confirma ses pensées, ils étaient sous terre. Il s’engagea alors prudemment dans le corridor, essayant de masquer le plus possible le bruit de ses pas. lorsqu’il arriva au pied d’un escalier, une voix de femme s’éleva :

  • Je suis étonnée qu’aucun des gars ne soit encore remonté, lâcha-t-elle en se rapprochant.
  • Mais qu’est-ce qu’ils foutent? Va les chercher ! Qu’ils se bougent un peu ! ordonna une voix rauque.
  • Tout de suite, chef.

Joseph, calme et impassible, rebroussa chemin.

  • Alors ? questionna l’évocatrice.
  • Tais-toi, quelqu’un arrive, je m’en occupe, chuchota le soldat tout en se plaçant derrière la porte.

Tout s’enchaîna très rapidement lorsque la femme pénétra dans la salle. d’un mouvement rapide et puissant, Joseph lui brisa la jambe tout en lui bloquant la bouche. Elle commença à se débattre cherchant à saisir ses armes, en réponse le soldat lui brisa la seconde jambe. Il accompagna ensuite sa chute de manière à pouvoir l’immobiliser puis, d’un petit coup de pied, il ferma la porte.

  • Tiens-toi tranquille, coopère et tu vis, crie et tu meurs, tu vas répondre à mes questions bien gentiment. Je te laisse quelques secondes pour observer les cadavres aux alentours, as-tu saisi ? glissa-t-il paisiblement en laissant à sa victime le temps de pondérer la situation. Bien, tu vas doucement m’expliquer comment sortir d’ici sans être vu. Je vais relâcher mon emprise, fais très attention.

Joseph sortit doucement Grâce de son fourreau tout en maintenant son emprise avec son autre main.

  • Je t’écoute, murmura-t-il en libérant son étreinte.
  • À l’aide… tenta alors de hurler sa victime.
  • Mauvaise réponse, s’attrista Joseph en lui remettant la main sur la bouche.
  • Attends, je m’en occupe, interrompit Nève avant que son ami ne lui brise un autre membre. J’ai plus efficace.

La céleste posa délicatement sa main sur le bras de la femme, celle-ci commença lentement à se débattre. On pouvait lire l’incompréhension sur le visage de Joseph alors qu’une légère couche de glace se formait sur la peau de sa victime.

  • Voilà ce qui va se passer, je vais geler un à un tous tes membres puis, si tu refuses de coopérer, je vais les briser. Nous t’écoutons, sourit-elle alors que la glace continuait de se répandre sur son bras.
  • Arrêtez, arrêtez, pitié. Pitié !
  • Parle, vite ! ordonna Joseph.
  • Vous pouvez… Sortir facilement… En haut des escaliers à droite… La sortie. Si… Faites attention… Vous pouvez passer, répondit la femme à l’agonie.
  • Merci et désolé, murmura-t-il avant de lui trancher la gorge.
  • J’ai repris des forces, ça devrait aller. Quittons cet endroit.

Quelques instants plus tard, une porte en bois donnant sur une route en terre s’entrouvrit, un soldat à la carrure massive suivi d’une plus menue s’engagea sur le chemin du bourg. L’homme portait une belle armure de cuir et son barda de voyage, tandis que la jeune femme l’accompagnant avait passé un châle couvrant sa belle chevelure. Ils marchaient sur ce chemin de terre bordé de champs vides, aucune culture possible en cette saison, il faisait froid au sud du premier royaume. On ne voyait que des champs à perte de vue, un terrain sans aspérité aucune, lisse jusqu’à l’horizon. Une tour de pierre trônait au centre de la cité, un avantage stratégique considérable. Un phare en pleine terre comme certains s’amusaient à l’appeler, mais surtout une plateforme d’observation dotée de puissantes longues-vues permettant de scruter jusqu’à l’orée du bois nord. Zéphès, un petit bourg de contrebandiers, d’affranchis, d’explorateurs de terres sauvages, de mercenaires, une bourgade hétéroclite où se réfugiaient ceux qui ne trouvaient pas leur place au premier royaume. Autrement dit, une épine dans la botte des célestes, principalement pour la maison de La Compassion dont les zones minières étaient adjacentes et qui rêvait de voir la ville partir en fumée. L’une des raisons empêchant ses détracteurs de passer à l’acte se nommait Thiamel, prince autoproclamé de la zone, mais surtout archange suprême, l’un des premiers nés célestes. Une puissance telle que l’évocation de son nom suffisait à faire fuir une armée, un prestige et une force suffisante pour protéger quiconque se couvrait sous ses ailes. Zéphès, fief de l’archange suprême de La Passion, maintenant loin des jeux de pouvoir, retranché aux abords des terres sauvages pour y trouver un semblant de paix. Un enfant cher à mon cœur dont le destin sera bientôt connu de tous.

Après seulement quelques minutes de marche, nombre d’habitations vétustes commencèrent à fleurir sur les bas-côtés. Quelques humains vaquaient à leurs occupations, coupant du bois ou s’attelant à préparer le repas du soir, aucun ne sembla prêter attention à leur passage. Finalement, le chemin de terre finit par se transformer en route pavée, les habitations précaires en maison de pierre et l’architecture du premier royaume reprit le dessus. Au terme de leur marche, ils arrivèrent sur une grande place remplie de petits étals, la plupart comportant de la nourriture.

  • Il se fait tard pour cette partie du royaume, le soleil ne va pas tarder à se coucher et nous ferions mieux de ne pas traîner dans cette ville. Achetons des chevaux, des vivres et partons.

Nève accompagna ses paroles d’un geste de la tête pointant un marchand remplissant les conditions nécessaires. Joseph acquiesça tranquillement avant d’entamer la conversation avec le vendeur :

  • Je voudrais…
  • Qu’est-ce qui vous faudra ? interrompit le tenancier.
  • Deux semaines de nourriture, mettez-moi un tiers de légumes et donnez-moi le reste en viande séchée. Ah, ajoutez un peu de pain aussi.
  • Vous comptez voyager ? Vous n’êtes pas du coin, seulement de passage ? demanda l’homme curieux tout en commençant à ranger consciencieusement la nourriture dans un sac en toile.

L’homme parlait vite avec un fort accent des terres reculées. Alors que Joseph ouvrait la bouche pour répondre, l’homme enchaîna machinalement sans prêter attention :

  • Si vous sortez faites attention, paraîtrait que des saloperies rôdent, vous savez des bouffeurs d’hommes.
  • Des charognards ? Ici ? s’interloqua Nève.
  • Oui, même pas des foutaises, ils sont tous aux aguets. D’après les dires… Enfin vous savez avec l’expansion du royaume, on y croit, on n’y croit pas à ça, bah une cinquième porte se serait ouverte dans les terres sauvages plus au sud d’ici…
  • C’est impossible, fabulations de paysans, répondit-elle au vendeur.
  • Beh moi aussi j’y crois qu’à moitié, je dis ça pour faire la causette et être amical, ça aide à vendre qu’on m’a dit, faites gaffe c’est tout. Enfin bon, pour que ça fasse déplacer notre Sieur Thiamel et une bonne moitié de nos soldats doit bien y avoir quelque chose quand même, conclut-il le sac à la main déjà rempli depuis un certain temps.
  • Merci pour les provisions, une dernière question, où puis-je trouver des chevaux ? demanda Joseph.
  • Ça fera trois pièces d’or pour le barda. Pour les chevaux, vous sortez par le nord de la place et vous suivez la route, vous trouverez facilement ça sent le fumier jusqu’ici.
  • Charmant, merci pour tout, termina Nève tandis que Joseph déposait quatre pièces sur l’étal. Tu y crois toi à ses inepties ? questionna la céleste tout en suivant machinalement les indications du marchand.
  • Une cinquième grande porte ? J’espère surtout pour eux que ce n’est qu’une rumeur. Si elle n’est pas contrôlée, le premier royaume va crouler sous les charognards et ça, aucune maison ne le permettra. Ce qui signifie que Zéphès va en subir les conséquences de plein fouet, soit une destruction, soit une annexion.
  • Les maisons de La Compassion et de La Rigueur vont se battre pour en acquérir les droits. D’autant plus que Thiamel a toujours défendu sa position vis-à-vis de Zéphès et de son territoire, ça ne sent pas bon…
  • Si ce qu’il dit est vrai. Pour le moment nous avons d’autres priorités. Allons trouver cette écurie, lança Joseph tout en tirant son amie qui allait marcher dans un crottin.
  • Ne crois-tu pas que l’on devrait en référer à nos maisons respectives ?
  • Je suis affranchi Nève, je ne rends de compte à personne. De plus, ce ne sont que de simples ragots, crier au loup sans preuve n’est pas la meilleure idée, laisse le temps au temps, nous envisagerons une fois les informations confirmées.
  • D’accord, mais accélérons le pas, j’ai l’impression qu’il y a de l’agitation sur la place, peut-être ont-ils découvert notre petit cadeau au pied du portail, chuchota-t-elle à son compagnon.
  • J’aperçois l’écurie, dépêchons-nous.

Malgré la cadence rapide que s’imposait le duo, le soleil disparaissait rapidement à l’horizon, emmenant la plupart des activités de la ville. Le maquignon ne faisant pas exception, ils arrivèrent à sa porte lorsque celui-ci fermait devanture. Joseph bien décidé à quitter cet endroit le plus tôt possible, interpella le marchand :

  • S’il vous plaît, attendez, nous aurions besoin de deux chevaux, le plus vite possible, demanda poliment le soldat.
  • Désolé, les chevaux sont à l’écurie pour la nuit, avec ce froid vous savez, repassez demain plutôt.
  • Une barre de nilarium pour deux chevaux sellés dans les cinq minutes, insista-t-il en sortant l’objet précieux de son sac.
  • Quoi ? Comment ? Où vous avez… bégaya le vendeur avant de se mettre à gesticuler. BELANE ! PRÉPARE DÉMONE ET KERA DE SUITE ! ET AVEC UNE SELLE PARDI ! Les chevaux arrivent, cinq minutes, répondit-il en s’empressant de prendre la barre qu’il fourra dans sa poche.

Il jeta ensuite un regard chargé d’incompréhension à Joseph. Il choisit de rester silencieux avant de disparaître dans l’écurie pour prêter main-forte à la femme qui s’y trouvait. Nève en profita pour manifester son incrédulité :

  • Une barre de nilarium, tu n’es pas un peu fou ? demanda-t-elle à voix basse.
  • Écoute, on n’a pas le temps de tergiverser. On doit partir au plus vite, tu veux passer la nuit ici ?
  • Non, mais quand même… D’ailleurs, pourquoi as-tu une rune de téléportation dans ta bourse ?
  • Pas de question.
  • Et ce bout de papier ?
  • Nève, ta curiosité te perdra…

Ses yeux pétillaient, un regard chargé de curiosité malsaine, Joseph la connaissait, il savait qu’elle ne démordrait pas. Il décida alors de lui donner un os à ronger :

    • Ce sont les ordres de Thola pour Vanul, tu es contente ?
    • Pas vraiment, je m’attendais à plus… croustillant, répondit-elle narquoise.
    • Nève, je croule sous une pluie de sentiments contradictoires à ton égard. Ton sourire me laisse toujours aussi rêveur, mais j’ai tout de même une envie incontrôlable de t’ouvrir le crâne à coups de pommeau.
    • Mon beau Joseph, c’est la chose la plus romantique que tu ne m’aies jamais dite, si tu continues tu vas me faire rougir.
  • Je te déteste.

Chapitre 3-3 : Vengeance

Quelques minutes plus tôt dans un bâtiment aux abords de Zéphès, un céleste responsable de la surveillance du portail de la ville s’impatiente. Derrière son bureau il fulmine et peste, jurant de faire payer à ses subordonnés leur manque de rigueur. Pris d’un élan de rage, il quitte finalement son bureau et s’engouffre alors dans l’escalier qui mène à la salle du passage vers Cor’vinus. Sa colère gronde, il pénètre dans la pièce telle une furie, prêt à en découdre avec ses hommes. Il se fige horrifié, un bain de sang. Le temps se suspend, son cœur cogne, une poignée de secondes puis la machine redémarre, il se rue dans le couloir, monte les marches trois par trois, il passe le corridor pour arriver haletant au pied du clocher, il attrape la corde au vol et de toutes ses forces, il donne l’alerte.

La cohue puis le calme, ses ordres sont passés, les soldats et les cavaliers quittent la bâtisse à la recherche d’informations. Une autre partie de ses hommes reste et fouille de fond en comble les lieux. Qui est responsable de ce massacre ? Sous leur propre toit et sans un bruit, pas un seul témoin. Il réfléchit, les hypothèses fusent dans sa tête, il vérifie le portail, il ne fonctionne plus. Pas de doute, des étrangers ont pénétré les lieux. Il crie, que tout le monde l’entende, il faut que l’information circule. Les battements de son cœur supplantent le tintamarre ambiant, il pose de nouveau son regard sur les cadavres l’entourant, merde, neuf hommes, ses hommes. Il se doit d’agir, le seigneur Thiamel lui fait confiance, il est inconcevable de le décevoir. Alors il saute sur un cheval et il galope en direction de la ville poussant sa monture dans ses retranchements. À peine a-t-il pénétré la place qu’un marchand un peu trop bavard entame la conversation. Il lui parle de mangeurs d’hommes, inintéressant, mais avant de reprendre sa route, le paysan mentionne que ses derniers clients, des étrangers, étaient eux un bien meilleur auditoire. Des étrangers ? Il se stoppe, les questions fusent, un soldat, grand, en armure de cuir, une belle femme portant un châle. L’écurie ! Il siffle, plusieurs de ses hommes lui tiennent maintenant compagnie, le sang va couler, œil pour œil, dent pour dent.

L’écurie se tient face à lui, il reconnaît le marchand et sa femme, pourquoi ont-ils deux chevaux harnachés à cette heure tardive ? Ils les voient, les étrangers, une armure de cuir et un châle, ils crient, ses soldats répondent à l’unisson. Ils chargent et dégainent leurs épées, le bruit assourdissant qu’ils provoquent alerte le duo, ils sautent sur leurs montures. Mais ils n’auront pas le temps de fuir, il le sait, il jubile, il arrive, il tend sa lame et tranche de toutes ses forces. Le sang gicle, la carotide du grand gaillard est touchée, il sourit. Ses hommes suivent son exemple, mais aucun d’entre eux ne réussit à toucher la femme, elle hurle pleine de désespoir. Elle crie son nom, lui ne répond pas, il glisse de son cheval dans une gerbe de sang, ses hurlements fendent le cœur. Ils sont sincères, chargés de colère et d’amour, une évocatrice disparaît, une déesse vengeresse naît. Mais ça, il ne l’a pas vu, l’extase est là, le sang chaud coulant sur le tranchant de sa lame, lui et ses hommes font demi-tour, prêts à mener le second assaut.

Un regard de haine, son animosité suinte, une énergie bleue s’échappe de son corps, elle se tient au milieu de la route protégeant son cadavre. Je doute, elle me fait peur, mes hommes crient et la chargent, je leur dis d’attendre, mais ils ne m’entendent pas. Je reste là figé, elle lève ses bras son aura illuminant la pénombre tombante, ses yeux, jamais je n’ai vu pareil regard. L’instant d’après, j’entends les chevaux hennir, les deux premiers cavaliers ainsi que leurs montures se sont empalés sur de la glace sortie du sol. Puis vient le tour du soldat suivant qu’elle désarçonne en le truffant de projectiles, je reste figé. Une déesse de sang, qu’ai-je fait ? Elle les fauche un à un, ils tombent sous ses attaques, vais-je mourir ? Je suis pétrifié, elle se rapproche, une douleur dans ma poitrine, son regard sombre, puissant, un goût de sang monte lentement dans ma bouche, je m’étouffe. J’ai froid, des larmes coulent le long de ses joues, des larmes coulent le long de mes joues, elle pleure sa mort, je pleure la mienne. Mon heure sonne…

Chapitre 3-4 : Deuil

Dans l’obscurité tombante chevauchait une femme au regard triste. Devant elle, au rythme du galop de son étalon noir, dansait le cadavre encore chaud de son ami. Il lui manquait déjà, les larmes coulaient le long de ses joues. Lancée à vive allure au milieu des champs nord de Zéphès, elle espérait trouver un endroit où s’abriter, la nuit se rapprochant à chaque foulée. L’absence de lune au premier royaume rendait le plan céleste plus sombre que le néant à la nuit tombée. Heureuse de sa nouvelle liberté, Démone lui offrait toute son énergie, mais Nève savait bien que la jument ne pourrait pas tenir ce rythme éternellement. Le temps filait et il devenait de plus en plus difficile de discerner la route, la cavalière se vit donc contrainte de réduire la cadence. À ce point de son échappée, la lumière était quasi inexistante et la température baissait drastiquement.

Naïmah continua sa route la nuit durant, frigorifiée et éreintée, elle finit par atteindre l’orée d’un bois. Elle dirigea prudemment sa monture hors du chemin avant de se faufiler entre les arbres. Elle s’arrêta au pied d’un énorme vèche, un type d’arbre proéminent au premier royaume assez proche du chêne dans sa couleur et dans la forme de ses feuilles. Épuisée, elle se laissa glisser de sa selle avant de s’affaler au pied du gros arbre, elle resta là, pensive. Ce n’était pas le premier compagnon qu’elle perdait, loin de là, mais Joseph occupait une place particulière dans son cœur. Abattue et toujours assise, elle entreprit de gratter le sol avec sa main gauche. Malgré sa lassitude, elle devait au moins faire l’effort de lui offrir une tombe décente. Elle gratta le sol gelé des heures durant, parfois à l’aide de sa dague souvent avec ses mains, son corps agissant instinctivement. Une fois le trou suffisamment profond, Nève y déposa doucement le corps de son ami qu’elle embrassa une dernière fois. Elle récupéra le catalyseur autour de son cou puis elle recouvrit son cadavre. En guise de pierre tombale, elle érigea Grâce, sa fierté. Pour épitaphe, “Joseph l’affranchi, soldat et ami fidèle”, qu’elle grava à la dague dans l’écorce de l’arbre. La fatigue l’accablait, Naïmah regroupa les affaires de Joseph avant de s’allonger à côté de la tombe, le sommeil l’emporta dans la foulée.

Des hennissements paniqués, le bruit des sabots heurtant la terre, Nève se réveilla en sursaut son regard cherchant à isoler la menace. Dans son observation affolée, la céleste remarqua que Démone saignait, elle se rapprocha alors de sa monture afin de la calmer. Inutile, celle-ci ne voulait rien entendre, elle soupira devant son impuissance avant d’observer prudemment la patte ensanglantée de l’animal. Elle y distingua une morsure profonde et large ne ressemblant à aucun prédateur du premier royaume. Décidément le sort s’acharnait, son unique monture blessée et aucune trace de l’agresseur. Démone restait incontrôlable, impossible de soigner sa plaie, Nève décida de s’asseoir au pied de l’arbre au côté de son ami. Elle entreprit de fouiller dans les affaires de Joseph, elle examina rapidement la rune de téléportation, une simple pierre imbibée d’une magie d’ancrage. Elle s’intéressa ensuite à la lettre cachetée de Thola pour Vanul :

Autorisation de débloquer quatre-vingts barres, remise à unité sept, présence impérative. Vetel

Quatre-vingts barres de nilarium, une sacrée somme, pas loin de soixante mille pièces d’or, que compte bien faire Thola avec tout cet argent ? Et pour qui ? L’unité sept ? Vetel ? Au moins sa présence impérative est une bonne nouvelle. Il ne me reste donc qu’à prendre la route pour Nelium, contacter Vanul et récupérer les barres à la place de Joseph, en espérant que lui sache à qui remettre le butin.

Pour le moment elle n’avait pas l’esprit à réfléchir plus en avant à la question, elle continua à fouiller dans ses affaires. Il restait une barre de nilarium et environ deux cents pièces d’or dans la bourse, des vêtements de rechange dans son balluchon ainsi que le sac de nourriture. Nève en profita pour se saisir d’un morceau de viande séchée qu’elle grignota difficilement, la jument finit par retrouver un semblant de calme, elle pourrait bientôt la soigner.

La jambe de Démone continuait de saigner, il fallait maintenant faire quelque chose avant que la situation ne s’aggrave. Nève se releva afin de se rapprocher de sa monture, elle lui posa la main sur la croupe qu’elle caressa affectueusement avant de lui susurrer des mots doux :

  • Chut, du calme ma belle, je vais devoir te faire un peu mal, je dois fermer ta plaie, sois forte.

Nève approcha sa main vers la blessure de sa monture, celle-ci se couvrit d’un léger halo bleu. La jument, surprise, se mit à hennir sous l’effet de l’ésotérisme de guérison qui provoquait une sensation désagréable et inhabituelle. La plaie se referma ne laissant aucune trace visible sur la peau. L’équidé n’opposa que peu de résistance lors de la procédure, Nève la félicita en lui donnant quelques légumes de ses provisions puis elle se rassit au pied de l’arbre.

  • Il est trop tard pour partir ma belle. Dors et repose-toi, nous repartirons demain à l’aube, je vais veiller à ta sécurité cette nuit.

La céleste se mit alors en quête de bois suffisamment sec pour faire un feu qui lui offrirait chaleur et réconfort. Elle rassembla les branchages nécessaires qu’elle disposa entre la tombe et la jument après s’être assurée que l’on ne pourrait la voir depuis la route. Pour l’allumer, elle fit une rapide évocation de la main, une petite flamme apparut sous le bois puis en quelques instants le tout s’embrasa. Elle passa un long moment le regard perdu dans les flammes, s’amusant à faire danser le feu à sa guise. La pyrotechnie, une forme d’ésotérisme qu’elle n’appréciait guère, trop volatile et imprévisible, les risques étant bien trop grand pour l’utilisateur. Elle soupira tout en continuant de s’amuser avec le brasier :

  • Tu sais, après toutes ces années à vivre servile, à se battre, trahir… Tuer aussi. On se dit que plus grand-chose n’a d’importance, à tort je suppose. J’ai passé presque un tiers de mes trois siècles de service à La Grâce avec toi, avant que tu ne sois bougé à Cor’vinus. Des années passées à la solde de l’archange Medhan au pied de la grande porte, toi et moi, soldats infiltrés au service du régent local. De vrais enfoirés… Trahissant la confiance de nos semblables à tour de bras, parfois après plusieurs années à leurs côtés. Contrebandes, vols, rebelles, nous avons participé à plus de vingt missions ensemble, toutes avec brio. À terme, nous avons trahi plus d’humains que le diable lui-même, souvent de pauvres débiles à la solde d’un céleste avide et cupide, ils ont tous fini pendus ou éviscérés. Ils ont choisi le mauvais camp Nève, ce n’est pas de notre faute, c’est ce que tu me répétais quand je doutais. Je ne suis même pas sûre que tu croyais à tes propres mots, à vrai dire je m’en fichais. Nous avions un but, l’intronisation et rien ni personne ne nous empêcherait de l’atteindre, quelque part nous y sommes arrivés… Puis vint le temps de la séparation, notre dernière mission côte à côte, tu es passé à deux doigts de la mort en affrontant un céleste corrompu. Plusieurs d’entre nous périrent ce jour-là, notre nombre diminua drastiquement, une mission réussie, mais un cuisant échec pour notre unité. Alors Medhan nous offrit à tous une arme, symbole de notre dévotion et de nos compétences puis il nous dispersa. Il t’a envoyé à Cor’vinus, je fus la seule de l’unité à rester et l’on me confia la charge de former notre relève. Les mois, les années passèrent… Je t’ai revu à de rares occasions, mais le temps nous change, plus qu’un ami, tu étais un frère pour moi. Une famille dans ce monde vide d’éthique, mais ça, tu ne le comprends pas ? J’ai l’impression que tu n’es pas vraiment là pour discuter. Jamais je ne t’aurais trahi, ni pour La Fierté, ni pour Vehkiel, il te suffisait de disparaître à la fin de ta mission, de trouver une solution pour ton intronisation.

Son monologue fut subitement interrompu par Démone qui se mit à hennir tirant au renard.

  • Que t’arrive-t-il ma belle ? Oh, doucement. Calme-toi, tenta-t-elle vainement en se rapprochant de sa monture.

Apeurée, elle se débattait de toutes ses forces, sa bride finit par céder et la jument fila à toute allure dans la forêt. Nève, d’abord surprise, comprit la raison de son agitation, une multitude de petits yeux rouges la fixait tout en se rapprochant prudemment. Il était trop tard pour fuir, d’un bond elle se jeta au pied de l’arbre puis elle empoigna Grâce d’une main et son épée courte de l’autre.

Chapitre 3-5 : Survie

Elle se tenait au pied l’arbre, ses deux armes en main, prête à réagir au moindre mouvement de l’ennemi. En soldat aguerri, elle expira bruyamment, un exercice de maîtrise du souffle lui permettant de contrôler son rythme cardiaque. Un esprit clair étant sa seule chance de survivre à un assaut défavorable. Les prédateurs patientaient, immobiles, peut-être avaient-ils peur d’elle. Soudain, une idée traversa son esprit. L’évocatrice planta ses épées devant elle et d’une rapide évocation elle manipula le feu. Elle l’étira en une bande de plusieurs mètres, un mur de flammes sommaire, mais fonctionnel. La pénombre l’entourant s’éclaircit finalement, les créatures reculèrent, perturbées par l’imposant brasier, mais à son grand malheur elles n’abandonnèrent pas. Le feu ne fit que retarder l’inéluctable. Patientes, elles contournèrent la menace afin de mener leur attaque sur un autre flanc.

Un hurlement provenant de sa droite, Nève récupéra ses armes plantées dans le sol meuble. Du coin de l’œil, elle discerna son assaillant, une créature pâle se déplaçant à quatre pattes fondait rapidement sur elle. Par réflexe, la céleste plongea sur le flanc droit de la créature qu’elle attaqua avec ses deux lames, coupant net la mâchoire supérieure du monstre alors que plusieurs charognards en profitaient déjà pour la charger. D’un coup d’œil elle isola la nouvelle menace, elle comprit rapidement qu’elle ne pourrait pas contenir cet assaut avec de l’acier. Elle rabattit ses lames d’un coup de poignet laissant ainsi ses doigts libres, de l’énergie bleue courut le long de ses bras puis d’un mouvement de la main droite elle déforma les flammes afin d’engloutir un premier charognard. Dans le même temps, un pic de glace jaillit de sa main gauche, l’évocation termina sa course dans l’épaule d’une autre bête. L’attaque fut insuffisante pour en venir à bout, d’un nouveau coup de poignet Nève retourna ses lames pour tenter d’achever son ennemi avant que ses ardeurs ne reviennent.

Elle fut interrompue dans sa course par deux nouveaux charognards qui surgirent de derrière le vèche. D’un appui puissant de la jambe gauche, la céleste modifia sa direction de façon à faire front, reprenant ainsi l’avantage. Elle abattit successivement ses deux lames sur le premier, celui-ci périt sur le coup. Le second, bien plus rapide, ne lui laissa aucune marge de manœuvre, il lui sauta au visage et Nève dût se résoudre à bloquer l’assaut avec son avant-bras. Les crocs du charognard se plantèrent profondément dans sa chair, elle hurla, un cri qui galvanisa la bête qui se mit à tirer de toutes ses forces. Poussée par son instinct de survie la céleste éluda la douleur et, dans un élan de rage, elle planta son épée courte dans la nuque de son assaillant. La vie quitta la créature qui s’écroula de tout son long, ses dents maintenant figées dans son avant-bras.

Dans l’urgence, Nève laissa son épée dans le corps inerte de la bête puis, utilisant sa main libre, elle entreprit de se défaire de l’entrave. Au prix d’une bataille contre la souffrance, elle finit par se libérer, son sang coulait abondamment. À peine eut-elle le temps de se réjouir qu’une créature lui attrapât le mollet avant de la faire chavirer violemment. Elle fut sonnée lorsque sa tête heurta le sol, la vue trouble, les oreilles bourdonnantes, elle ne sentait que la pression de la mâchoire sur sa jambe. Dans un réflexe, elle estoqua dans la direction supposée de son assaillant. Par providence son attaque porta, mais l’emprise ne faiblit pas pour autant. Dans un ultime recours, elle poussa sa lame, du sang s’infiltra dans sa botte suivi de gémissements plaintifs avant de sentir la mâchoire se desserrer dans un ultime râle. Elle tâtonna, sa tête tournait toujours, le choc ainsi que la perte de sang accentaient ses vertiges. Il lui fallait fuir avant qu’un nouvel assaut ne survienne…

Grâce à la main, elle mobilisa ses forces pour retrouver ses appuis, sa jambe droite et son bras gauche saignaient abondamment. Elle se rendit rapidement compte de son erreur lorsqu’elle posa son pied, une pointe de douleur lui fit reposer le genou à terre. Face à elle, une multitude de perles rouges l’observait prudemment. Elle sourit pendant un court instant puis elle hurla :

  • Alors ! Venez me chercher ! Venez saloperies!

Alors que tout semblait perdu, les charognards lui faisant front se ruèrent dans la direction d’un hennissement lointain d’une jument à l’agonie. À bout de forces, Nève attrapa son balluchon avant de se mettre à tituber dans la direction inverse. À tâtons dans cette forêt maudite où gisait son ami, elle fuyait espérant que le festin qu’offrait sa monture serait suffisant pour couvrir sa retraite. Elle boitait lourdement, mobilisant le reste de ses forces dans ce froid mordant l’accablant. Son espoir fut de courte duré, des créatures la poursuivaient, deux peut-être trois, elle savait qu’ils gagnaient du terrain, ils ne pouvaient s’empêcher d’émettre des râles. Elle s’adossa à un arbre un peu plus gros que les autres tout en lâchant son balluchon à ses pieds, ses assaillants se rapprochaient.

L’évocatrice haletante joignit ses deux mains contre la garde de son arme, elle y transféra son énergie qui se diffusa le long de la lame. Une à une les runes recouvrant Grâce s’illuminèrent créant un faible halo bleu. Une fois l’épée de Joseph imprégnée, elle l’embrasa d’une simple impulsion créant un magnifique tourbillon de flammes bleues dansant avec ses mouvements. Une étoile perdue dans la nuit, une faible lueur lui offrant un regain de courage dans cette situation désespérée.

Elle patientait au pied de cet arbre, seule face au bruit inquiétant des râles trahissant leur présence. Impassibles prédateurs, ils guettaient le moment opportun, le moment où sa vigilance baisserait. Ce statu quo insoutenable semblait s’éterniser, la pression sur ses tympans s’intensifiant à chaque battement de son cœur. Une agitation s’éleva non loin de son campement, le feu répandu plus tôt avait sûrement attiré l’attention de ses éventuels poursuivants. Son visage s’illumina, une idée, elle devait saisir cette opportunité, d’une seconde impulsion elle éteignit les flammes entourant sa lame espérant se faire oublier de tous. Une cohue lointaine débuta, les cris des célestes ainsi que les râles des charognards s’entremêlèrent. Le bruit se réverbérait dans cette immense forêt, elle finit par ne plus discerner si des charognards l’entouraient encore dans ce chaos. L’espace d’un instant, elle pensa à lui, à ce qu’il aurait fait, elle improvisa. Nève siffla de toutes ses forces dans la direction de ses poursuivants, une action hasardeuse à double tranchant. Le résultat ne se fit pas attendre, des cliquetis de cottes de mailles s’élevèrent, certains d’entre eux étaient bien plus proches qu’elle ne l’imaginait. Elle attendit impassible, suppliant à qui voulait bien l’entendre :

  • Allez, retournez-vous, attaquez-les par surprise, murmura-t-elle les lèvres pincé

L’évocatrice discerna finalement une lumière vacillante entre les arbres, deux hommes tenant chacun une torche et une épée. Elle sourit, l’un des charognards venait de saisir un garde à la gorge, elle ramassa aussitôt ses affaires avant de s’enfuir dans la direction opposée. Amoindrie par ses blessures, elle se retrouva rapidement essoufflée, le sang qu’elle perdait à un rythme alarmant continuait d’aggraver sa situation. Elle se devait d’aller au bout de son effort, pousser son corps dans ses derniers retranchements. Focaliser sur sa survie, elle ne comprit que tardivement que plus aucun danger ne la guettait. Elle était de nouveau seule dans cette forêt immense et sombre.

Une marche interminable dans le froid de la nuit, Nève découvrit finalement un petit renfoncement rocheux perdu au milieu de la mer d’arbre. Le destin lui souriant enfin elle y trouva un petit baraquement en bois servant de poste avancé pour les chasseurs de la région. La céleste pénétra dans le bâtiment sans demander son reste, l’endroit bien que poussiéreux était plus accueillant que le sol humide et froid de la forêt. Elle jeta ses affaires sur le lit avant de retirer lentement son gilet, la tâche se révéla douloureuse, le tissu s’étant figé dans sa plaie. Elle enleva ensuite ses bottes et son pantalon, le cuir ayant joué son rôle, son mollet semblait en meilleur état que son bras, même si les canines avaient pénétré profondément dans le muscle. Assise sur le bord du lit Nève expira avant de fermer ses yeux, un instant de répit. Elle déposa ses mains sur ses genoux, paumes vers le ciel, son esprit se focalisant exclusivement sur la douleur. De l’énergie bleue émana de ses plaies, distordant la chair, refermant ses blessures et lissant la peau après réparation. Malgré son faible niveau en magie curative, il ne lui fallut que quelques minutes pour soigner tous ses maux, un autre bénéfice de l’ésotérisme céleste. Soulagée, elle remit promptement ses vêtements, le froid commençant à l’étreindre puis elle profita de cet instant de répit pour se sustenter. Fatiguée, elle barricada sommairement la petite cabane avant de s’effondrer dans le petit lit en bois.

  • Plus que quelques mètres mon vieux, accroche-toi ! rassura un homme.

Nève se réveilla en sursaut, quelqu’un approchait, elle se saisit rapidement de Grâce puis elle se colla à l’une des ouvertures de la pièce pour observer la menace. Deux soldats, en piteux état, l’un des deux boitait et son collègue n’avait d’autre choix que de l’assister pour qu’ils puissent avancer. Elle ne distingua aucun signe distinctif, elle avait probablement affaire à des hommes de Zéphès envoyés à ses trousses, elle pesta, aucun répit ne semblait lui être accordé.

  • Allonge-toi ici. Je vais jeter un coup d’œil à la cabane… lança-t-il à son camarade en se dirigeant vers la structure en bois. C’est bloqué, fait chier ! Je la défonce.

Le soldat enfonça la porte d’un puissant coup de pied puis, sans se méfier, il pénétra dans le baraquement. À peine eut-il franchi le seuil que le fil d’une épée vint lui chatouiller la gorge et sans dire un mot, son assaillant tira son arme de son fourreau avant de la lancer à l’autre bout de la pièce.

  • Doucement, nullement besoin que notre rencontre finisse en effusion de sang. J’ai eu ma dose pour un moment, alors tu vas gentiment avancer de quelques pas, que nous puissions discuter.
  • Bien sûr, aucun souci, balbutia respectueusement le gaillard.
  • D’où viens-tu et que fais-tu ici ?
  • Dumail ! Que fais-tu ? lança le soldat blessé, toujours allongé contre son caillou.
  • Réponds-lui, ordonna Nève agitant la pointe de son épée.
  • Euh, attends… J’arrive.
  • Réponds-moi maintenant, pressa la guerrière.
  • On vient de Zéphès à la poursuite d’une femme. Mais nous avons été attaqués… Par des charognards. Ils nous ont submergés, attirés par les flammes sûrement…
  • Je connais la suite, voilà le marché. Je vous laisse en vie toi et ton copain, je m’en vais loin de cet enfer. Tente quoi que ce soit pour m’arrêter et je t’éviscère sur place. Compris ?
  • Oui, oui.
  • Vous avez des vivres ?
  • Rien du tout.
  • Je vous laisse de quoi tenir deux jours.

La céleste renversa une partie de son sac de nourriture puis elle attrapa le reste de ses affaires avant de quitter la cabane surprenant au passage le soldat blessé attendant à l’extérieur. Ses poursuivants hors d’état de nuire, il lui fallait continuer sa route vers Nelium et surtout quitter la forêt au plus vite. À présent sans monture, il lui faudrait bien deux semaines pour rejoindre son objectif.

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